PHYSIOGNOMONIE ET CHIROMANCIE

revivim1100 - PHYSIOGNOMONIE ET CHIROMANCIE

Rav Eliézer Melamed

Question : est-il permis de prendre conseil auprès de personnes qui se livrent à l’interprétation des traits du visage (physiognomonie) ou des lignes de la main (chiromancie), afin de programmer ses choix à venir – par exemple la création d’une entreprise, le choix d’un conjoint, etc. ?

Réponse : cette question s’envisage sous deux angles. Premièrement, il s’agit de savoir s’il y a quelque vérité dans ces études. Deuxièmement, dans la mesure où elles auraient quelque fondement, est-il permis de s’en servir ?

Il faut d’abord dire, brièvement, que la physiognomonie s’appuie sur l’idée qu’il existe une concordance entre l’âme et le corps, de sorte que les formes corporelles, et en particulier les traits du visage – où se concentre essentiellement l’expression non verbale de l’homme –, reflètent son caractère et son destin. Dans le même sens, la chiromancie repose sur l’idée que, puisque l’homme se livre à toutes ses activités par le biais de ses mains, les linéaments qui s’y trouvent expriment son caractère et son destin.

Décisionnaires qui l’interdisent résolument

Certains décisionnaires estiment que, de même que l’astrologie n’est pas véridique, de même ces méthodes ne le sont pas. Il se peut que, selon eux, elles aient parfois quelque véracité ; mais les occurrences où les tenants de ces « sciences » se trompent sont si nombreuses qu’on ne saurait leur accorder de crédit. Par ailleurs, de même que la Torah interdit de chercher à connaître l’avenir par le biais de l’astrologie, de même interdit-elle de tenter de le connaître par le biais de ces méthodes. Par conséquent, ceux qui consultent un de ses praticiens enfreignent l’interdit de la divination et de la magie (Lv 19, 26), lequel se rattache à l’interdit de sorcellerie. C’est ce qu’écrivent le Lé’hem Michné (dans son commentaire de Maïmonide, ‘Avoda Zara 11, 9), le Ma’assé Roqéa’h (ad loc.), le Kerem Chelomo de Rabbi Chelomo Hess (Hilkhot me’onen oumekhachef), le Ziv’hé Tsédeq, Yoré Dé’a 179, 15, le Béour ‘Hadach (sur Maïmonide, réf. cit.). Selon ces auteurs, telle est l’opinion de Maïmonide, de Rabbi Yecha’ya di Trani, du Séfer Mitsvot Gadol, du Tour, du Qiryat Séfer et d’autres.

Décisionnaires indulgents

D’autres auteurs, en revanche, estiment qu’il y a du vrai dans ces disciplines, de même qu’il y a du vrai dans l’astrologie, et qu’il n’est pas interdit d’y recourir, dès lors qu’elles ne s’accompagnent pas d’actes de sorcellerie. Cela, à condition de s’adresser effectivement à une personne qui maîtrise ces domaines. En effet, nombreux sont ceux qui les pratiquent sans les comprendre convenablement. En d’autres termes, selon cette opinion, de même qu’il est permis de consulter un conseiller en stratégie ou en économie pour élaborer ses choix à venir, de même est-il permis de prendre conseil auprès d’un astrologue compétent au sujet de l’avenir (Ibn Ezra, Gersonide). De la même façon, on peut prendre conseil, quant à ses choix à venir, auprès d’un physiognomoniste ou d’un chiromancien compétent.

Parmi les tenants de cette opinion, certains pensent que le statut de ces disciplines est supérieur à celui de l’astrologie, car on trouve à leur sujet des mentions positives dans le Zohar et dans les écrits des Guéonim. Le Zohar (II 78a) raconte que Jéthro avait conseillé à Moïse, notre maître, de recourir à l’étude des traits du visage pour choisir les phylarques chargés de juger (afin qu’ils partageassent avec lui la charge du peuple). Il est dit en effet : « Et toi, considère, d’entre tout le peuple, des hommes de valeur, craignant Dieu, gens de vérité, haïssant le lucre, et prépose-les sur eux comme chefs de mille, chefs de cent, chefs de cinquante et chefs de dix » (Ex 18, 21). Or il n’est pas dit « et toi, choisis », mais bien : « et toi, considère » (littéralement « regarde », « observe »). En d’autres termes, Moïse était invité à choisir les fonctionnaires convenables en s’appuyant sur l’observation de leur visage. Mais, précise le Zohar, Moïse n’avait pas besoin de cela, puisqu’il était assisté de l’esprit saint. Dans le même sens, les responsa des Guéonim rapportent que, selon Rav Cherira Gaon et Rav Haï Gaon, les sages du Talmud se servaient de cette science, et qu’ils n’enseignaient les secrets de la Torah qu’à ceux qui, d’après les traits de leur visage, en étaient dignes (Cha’aré Techouva 122). Certains ont coutume de recourir effectivement à ces disciplines, comme en témoignent, dans notre génération, les responsa Ma’assé Nissim III 208.

Opinion médiane : il est interdit de chercher à prédire l’avenir

Suivant une opinion centrale, qui est celle d’une majorité de décisionnaires, le statut de la physiognomonie et de la chiromancie est semblable à celui de l’astrologie : elles réussissent parfois, mais elles sont souvent décevantes, car au fil du temps la transmission des connaissances, en ces domaines, s’est affaiblie et compliquée d’erreurs. De plus, même jadis, à une époque où davantage de savants s’adonnaient à ces disciplines, on ne pouvait s’y fier, car elles analysaient la nature et l’état d’une personne à un instant donné, alors que, par l’effet du libre arbitre, on peut changer sa nature.

En pratique, selon la majorité des sages d’Israël, le fait de demander la prédiction de l’avenir par le biais de l’astrologie, de la physiognomonie ou de la chiromancie, n’est pas constitutif de l’interdit de divination ; mais en vertu de la mitsva : « Tu seras intègre avec l’Éternel ton Dieu » (Dt 18, 13), il ne faut pas rechercher les choses cachées ni la révélation de l’avenir au moyen de connaissances secrètes. C’est la position des responsa attribuées à Na’hmanide (283) et des autorités suivantes : Séfer Yeréïm 239, 431, Ritva sur Chabbat 156b, Nimouqé Yossef sur Sanhédrin 16b, Rif, Ran sur Sanhédrin 65b, Derachot 11. C’est aussi ce qui semble ressortir des propos du Beit Yossef et du Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 179, 1-2 ; et c’est ce que disent explicitement le Rema ad loc., les responsa de Rabbi Betsalel 15, 2, le Levouch 179, 1-2, le ‘Hokhmat Adam, Issour vé-heter 89, 3, ainsi que de nombreux autres auteurs.

Est-il permis, selon l’opinion médiane, d’étudier le caractère d’une personne en s’appuyant sur ces disciplines ?

De l’avis de la majorité des sages d’Israël, qui soutiennent l’opinion centrale, il n’est en principe permis, en matière de physiognomonie et de chiromancie, que de faire des études caractérologiques, à l’exclusion de la prédiction de l’avenir. C’est ainsi que ces auteurs expliquent les propos du Zohar, selon qui Jéthro conseilla à Moïse notre maître de choisir les magistrats en s’appuyant sur l’observation de leurs traits, ainsi que les propos des Guéonim, d’après lesquels les sages d’Israël enseignèrent le savoir occulte à ceux de leurs disciples qui, selon la science des visages, en étaient dignes.

Confusions apparues au cours du temps, dans la transmission de ces savoirs

Telle est la position de Na’hmanide, qui ajoute cependant que, à la suite de la destruction du Temple et de l’exil, ce savoir déclina : « Quand nous fûmes perdus, ces sagesses se perdirent avec nous, et il n’en resta plus qu’un souvenir confus, entre les mains d’un petit nombre, tandis que les philosophes vinrent les réfuter » (Drouch Torah Temima, Gn 5, 2). En d’autres termes, puisque sa tradition précise s’est perdue, ce savoir demeura nébuleux, de sorte que, lorsque les philosophes en firent l’examen critique, ils le jugèrent erroné.

De même, Rabbi Haïm Vital témoigne que le saint Ari (Rabbi Isaac Louria) avait accès à des connaissances occultes par l’effet de l’esprit saint (roua’h haqodech), et savait aussi interpréter les lignes de la main ; mais il ne voulait pas enseigner cette science, car il la considérait comme une « science étrangère » (Chiv’hé ha-Ari p. 22). Il semble que la physiognomonie et la chiromancie reposassent aussi sur une inspiration quasi prophétique ; or, quand nous passâmes de la période prophétique à celle de la sagesse, les sages s’habituèrent à soumettre chaque chose à un examen intellectuel, précis et détaillé, et trouvèrent peu approprié d’étudier et d’enseigner une discipline qui s’appuie aussi sur l’intuition. Dès lors qu’ils investirent moins de temps à son étude, des confusions la grevèrent d’autant. Le saint Ari y avait accès par l’effet de l’esprit saint, mais s’il ne voulait pas l’enseigner, c’est parce qu’il savait que, sans cette inspiration céleste, ce savoir demeurerait une « science étrangère » et confuse.

Défauts d’une caractérologie fondée sur ces disciplines

De prime abord, puisque la majorité des décisionnaires estiment qu’il n’est pas interdit de faire une étude caractérologique fondée sur l’examen du visage ou des lignes de la main, et quoique des confusions se soient mêlées à ces disciplines, il semble qu’il n’y ait pas d’inconvénient à écouter l’opinion, à cet égard, de celui qui les professe. Mais en pratique, même s’il s’agit d’étudier une personnalité, le recours à ces sciences occultes est problématique : puisqu’elles sont aujourd’hui parsemées d’erreurs, et à supposer même que l’on puisse discerner, par leur biais, une part des traits de personnalité du sujet étudié, toute erreur d’analyse risque de causer de grandes complications. En effet, le cas est différent de celui d’un rabbin qui connaît son disciple, ou d’un psychologue qui converse avec son patient : leurs conseils s’appuient sur la logique, si bien que le disciple ou le patient peut les examiner au moyen de son intellect. Quand le conseil procède de ces disciplines divinatoires, dont les voies sont occultes, il est difficile de repousser un avis erroné au moyen de la logique, et la vie risque de s’en trouver embarrassée. Par exemple, on risque de se croire pourvu de tel don, puis de se choisir un métier propre à lui donner expression, alors qu’en vérité on eût été plus doué dans un autre domaine.

Le Rabbi de Loubavitch, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, écrit ainsi : « Il est dit à ce sujet : “Nombreuses sont les victimes dont elle a causé la chute” (Pr 7, 26), verset que nos sages appliquent à “celui qui n’a pas acquis les compétences nécessaires pour enseigner, et enseigne cependant” (Sota 29a). Et je doute que, dans notre génération, quelqu’un puisse dire et annoncer qu’il est spécialiste en ces domaines » (Igrot Qodech XV p. 64).

Traduction : Jean-David Hamou