La mitsva des téphilines
Nous avons récemment lu, dans la section Vaet‘hanan, le premier paragraphe du Chéma, dans lequel apparaît la mitsva des téphilines (phylactères), ainsi qu’il est dit : « Écoute, Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un. Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces. Et ces paroles que Je te prescris en ce jour seront dans ton cœur. (…) Tu les attacheras en signe sur ton bras, et elles seront une parure entre tes yeux. » (Dt 6, 4-8) C’est l’occasion pour nous d’étudier la mitsva des téphilines, en nous intéressant en particulier à l’emplacement exact de chaque téphila (singulier de téphilines).
C’est une « mitsva positive » (c’est-à-dire un commandement de faire) de rang toranique que d’attacher chaque jour à son bras la téphila chel yad (phylactère du bras) ; c’en est une autre que d’attacher chaque jour à sa tête la téphila chel roch (phylactère de la tête), cela « entre ses yeux », afin de se souvenir toujours des principes de l’émouna (la foi). Les boîtiers des téphilines contiennent chacun quatre paragraphes de la Torah, dans lesquels apparaît précisément le commandement d’attacher à soi les téphilines. Ce sont les paragraphes suivants : Qadech… (« Sanctifie-moi tout premier-né… », Ex 13, 1-10) ; Véhaya ki yéviakha… (« Lorsque l’Éternel t’aura fait entrer… », ibid. 11-16) ; Chéma Israël… (« Écoute, Israël… », Dt 6, 4-9) ; Véhaya im chamoa’… (« Or, si tu écoutes… », ibid. 11, 13-21).
Contenu des paragraphes
Dans ces quatre paragraphes, figurent les principes de l’émouna et de la Torah d’Israël. Les deux premiers paragraphes mentionnent la sainteté des premiers-nés, la notion de terre d’Israël, la sortie d’Égypte et la fête de Pessa‘h, toutes thématiques qui expriment la sainteté et l’élection d’Israël. C’est en effet en vertu de ces traits distinctifs que l’Éternel nous fit sortir d’Égypte par des miracles et des prodiges. C’est ainsi que se révéla, à nous-mêmes et au monde, la providence que l’Éternel exerce sur l’univers entier, et le fait que tout est entre ses mains. Dans la mesure où la sortie d’Égypte est la base de la foi d’Israël, ces paragraphes contiennent également la mitsva d’accomplir l’offrande pascale, et celle de raconter, le soir du Séder, l’histoire de la sortie d’Égypte aux enfants.
Dans les deux derniers paragraphes des téphilines, sont exposés les principes de l’émouna et de la destinée d’Israël. Dans le paragraphe Chéma Israël, figurent les mitsvot fondamentales incombant à tout individu juif : avoir foi en l’unité de Dieu, aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son pouvoir, méditer constamment à la Torah, au coucher et au lever, chez soi ou en chemin, la transmettre à ses enfants après soi. La dernière paracha, Véhaya im chamoa’, expose la grande mission d’Israël : prendre possession de la terre promise, y observer toutes les mitsvot et y jouir de la bénédiction divine. On trouve encore, dans ce paragraphe, le principe de rétribution – récompense et châtiment – : Dieu exerce sur Israël sa providence. Si nous péchons, nous perdons la terre d’élection ; si nous obéissons à la voix de l’Éternel, nous recevons la bénédiction divine, et pérennisons notre existence sur la terre qu’Il promit à nos pères.
Emplacement de la téphila du bras
L’emplacement de la téphila du bras est, selon la tradition : « le muscle charnu du bras » (c’est-à-dire le biceps), en orientant quelque peu le boîtier en direction du cœur. Il est dit en effet, dans le paragraphe Chéma : « Tu les attacheras [ces paroles] en signe sur ton bras… » (Dt 6, 8) ; et, dans le paragraphe Véhaya im chamoa’ : « Et vous placerez ces miennes paroles sur vos cœurs et en vos âmes, et vous les attacherez en signe sur vos bras. » (ibid. 11, 18). Nos sages apprennent de ces versets qu’il faut placer la téphila à l’endroit le plus proéminent du bras, qui est le biceps, muscle le plus saillant entre l’épaule et le coude (Mena‘hot 37b). De plus, il est dit que nous devons placer « ces paroles » sur nos cœurs, c’est-à-dire sur le muscle du bras qui est en regard du cœur. Nous apprenons par-là qu’il est bon d’orienter quelque peu la téphila du côté du cœur – mais non beaucoup, car alors elle ne se trouverait plus sur le muscle.
Quant au sens de la mitsva, nous pouvons dire que, dans le fait d’attacher la téphila au bras, se trouve une allusion à deux notions : a) au-delà de tout ce que l’homme peut accomplir de plus considérable à l’aide de ses bras et ses muscles, se tient l’émouna, la foi en « Celui qui nous donne la force d’obtenir tous ces succès » (cf. Dt 8, 18) ; b) le cœur, avec toute sa puissance émotionnelle, doit être orienté et canalisé par la Torah. C’est pourquoi nous plaçons la téphila sur le muscle du bras, face au cœur.
Doit-il s’agir de la moitié inférieure de l’os ?
Rabbénou Pérets écrit que ce n’est pas l’entièreté du biceps qui convient à la pose de la téphila, mais seulement la partie de ce muscle qui recouvre la moitié inférieure de l’os reliant le coude à l’épaule (l’humérus). C’est aussi en ce sens que se prononcent le Choul‘han ‘Aroukh et le Rema (Ora‘h ‘Haïm 27, 1 ; 7) : la téphila du bras, selon eux, doit être placée sur la moitié inférieure de l’humérus. De nombreux décisionnaires ultérieurs adoptent cette position (Levouch, Maguen Avraham, Choul‘han ‘Aroukh Harav, Artsot Ha‘haïm). Certains auteurs estiment même que, a posteriori, si l’on ne peut placer le boîtier sur la moitié inférieure de l’humérus, mais seulement sur sa moitié supérieure, on ne doit pas réciter la bénédiction (‘Hayé Adam 14, 10 ; Ye‘havé Da‘at 5, 3).
Mais cette position semble très problématique. Premièrement, les autres Richonim, qui précèdent Rabbénou Pérets, ne mentionnent pas cette exigence. Ils se bornent à dire que l’emplacement de la téphila du bras est le biceps. De même, les sages du Talmud indiquent que la téphila doit être « en regard du cœur » ; or, le cœur ne se trouve pas en regard de la moitié inférieure de l’humérus, mais en regard du milieu de cet os, ou légèrement plus haut. De plus, Rabbénou Pérets écrit cela sans autre précision, et n’explique pas la source de sa position. En outre, les sages indiquent qu’il se trouve « assez de place sur le bras pour y poser deux téphilines » ; or, si l’on suit Rabbénou Pérets, il n’y a guère de place pour cela. Enfin, chez les jeunes garçons, la moitié inférieure de l’humérus est en-deçà du muscle ; or, selon le sens obvie de la Guémara, ainsi que pour la majorité des décisionnaires, il est obligatoire de placer la téphila sur le biceps.
Explication d’après laquelle il n’y a pas de controverse
On peut tenter de faire coïncider les diverses opinions, en avançant que Rabbénou Pérets avait seulement l’intention de préciser ce qui était compréhensible et admis de tous ; et que, puisqu’il ne voyait à cela aucun élément nouveau (‘hidouch), il n’a pas estimé nécessaire de s’étendre davantage sur la question. D’après cela, son intention était simplement d’indiquer que le biceps recouvre la partie inférieure de l’ensemble de l’humérus. Or il est vrai que, lorsque le bras est étendu – position fréquente –, le muscle est plus long (Ora‘h Michpat 4). Il n’y a pas lieu de dire qu’il faut mesurer l’os depuis l’aisselle, puisque, lorsqu’on lève le bras, on obtient, entre le coude et le milieu de l’aisselle, une semblable mesure. De cette façon, il apparaît que l’emplacement principal du biceps se situe dans la moitié inférieure du bras, en regard du cœur. Ainsi, la plupart des objections soulevées contre les propos de Rabbénou Pérets se voient résolues.
Une difficulté demeure pourtant : une petite partie du muscle recouvre la moitié supérieure de l’humérus. On peut répondre à cela que l’intention de Rabbénou Pérets n’était peut-être pas de mesurer le bras avec une telle précision, mais seulement d’expliquer que l’on parle globalement de la moitié inférieure du bras.
Halakha pratique
Certains auteurs, il est vrai, n’interprètent pas ainsi les paroles de Rabbénou Pérets ; et, en raison des nombreuses objections que celles-ci peuvent susciter, ces auteurs ne tiennent simplement pas compte de son opinion (Gaon de Vilna 27, 1 ; Ma‘assé Rav, Téphilines 21). En pratique, la majorité des A‘haronim estiment que l’essentiel est que la téphila soit placée sur le biceps. Et quoiqu’il y ait lieu, a priori, de tenir compte de l’opinion de Rabbénou Pérets, en plaçant la téphila sur la moitié inférieure de l’humérus, ceux à qui cela est difficile – parce qu’ils souffrent d’une plaie à cet endroit, ou parce qu’ils sont trop tendres en âge, que leur bras est court et que leurs téphilines sont grandes –, placeront le boîtier comme ils le peuvent, du moment que cela reste sur le muscle, même si c’est au-delà de la moitié inférieure de l’humérus (Ha‘ameq Chééla 145, 3 ; Michna Beroura 4 ; Ben Ich ‘Haï, ‘Hayé Sarah 6, et de nombreux autres auteurs).
Emplacement de la téphila de la tête
On place la téphila de la tête au-dessus du front, à partir de la lisière des cheveux, et jusqu’à l’endroit où le crâne des bébés cesse d’être mou. Il faut ajuster la téphila de manière que le boîtier soit placé au centre de la tête, à équidistance des deux yeux (Choul‘han ‘Aroukh 27, 9-10). Si le boîtier n’est pas exactement au centre de la tête, mais s’est un peu déplacé à droite ou à gauche, on considère qu’il est encore à sa place, tant qu’il reste entre les deux yeux. Il n’est donc pas nécessaire de vérifier dans un miroir si le boîtier est strictement au milieu ; il suffit de le placer au toucher (Divré ‘Haïm II 6 ; Tsits Eliézer XII 6, 2).
La totalité du boîtier doit être placée sur le cuir chevelu
Il faut veiller à ce qu’aucune partie de la téphila de la tête ne descende en dessous de la lisière des cheveux. En effet, selon de nombreux auteurs, on n’accomplit point la mitsva, et la bénédiction prononcée l’a été vainement, si le boîtier repose sur le front, ou le surplombe, ne fût-ce qu’un peu. Or, puisque la lisière des cheveux est quelque peu courbe, et que le côté inférieur du boîtier est droit, les extrémités de la téphila risquent de ne pas vraiment être en contact avec la région capillaire. Il faut donc vérifier sur quoi repose le boîtier : s’il descend, même partiellement, en dessous de la lisière des cheveux, la téphila n’est pas à sa place, et l’on n’a pas accompli la mitsva.
Ceux qui, les années passant, perdent leurs cheveux, doivent placer le boîtier sur la région où, dans leur jeunesse, leurs cheveux poussaient. Ce qui est déterminant est, en effet, la zone de pousse des cheveux qui s’observe ordinairement, chez la majorité des hommes.
Qetsitsa et titoura
Selon certains auteurs, seule la qetsitsa (partie proéminente du boîtier, celle qui contient les parchemins) doit être placée sur le cuir chevelu, tandis que la titoura (base, socle duquel émerge la qetsitsa) peut reposer sur le front, ou surplomber le front (‘Olat Tamid 27, 8 ; Touré Zahav, selon Beit Ya‘aqov). Mais de nombreux auteurs estiment que la titoura elle-même doit reposer sur la zone capillaire (responsa Beit Ya‘aqov 131 ; Maamar Mordekhaï 27, 8 ; Peri Mégadim, Michbetsot Zahav 27, 10 ; Chvilé David 27, 4 ; Imré Yocher, nouveaux responsa 3 ; Michna Beroura 27, 33 ; Ye‘havé Da‘at 5, 3). Le Rav Kook, dans sa jeunesse, écrivit le recueil ‘Havach Peér, afin de réaffirmer avec vigueur l’obligation de placer la titoura elle-même sur la zone capillaire. Selon l’auteur, celui qui n’agit pas ainsi perd le bénéfice de la mitsva et en prononce vainement la bénédiction ; il faut donc l’avertir de son erreur.
Ceux qui se suffisent de la majeure partie du boîtier
Certains avaient toutefois coutume, jadis, de placer une partie du boîtier en dessous de la lisière des cheveux, comme l’attestent par exemple les témoignages relatifs aux Rabbis de Belz. Trois positions existent en ce sens :
- a) Certains décisionnaires, tels que le Touré Zahav et le ‘Olat Tamid, estiment qu’il n’est pas nécessaire que la titoura (base du boîtier) repose sur la zone capillaire. Le Torat ‘Haïm de Rabbi Ya‘aqov Chalom Sofer (27, 10) s’exprime aussi en ce sens.
- b) D’autres disent qu’il suffit que la majorité de la qetsitsa (partie proéminente du boîtier) se trouve sur la zone capillaire (Tiféret Ziv I, 1 ; Dvar Yehochoua IV, 11).
- c) D’autres encore soutiennent que tout ce qui est « en l’air » ne compte pas, et qu’il suffit que la partie qui touche réellement la tête soit sur la zone capillaire (Dvar Yehochoua, loc. cit. ; Omer Vada‘at 1).
Enfin, certains donnent pour instruction de se conformer, a priori, à l’opinion rigoureuse, tout en estimant que l’on peut juger favorablement ceux qui suivent les avis indulgents, de sorte qu’il n’y a pas lieu de les reprendre à cet égard (Da‘at Qedochim 27, 9 ; Ma‘hchévet Be‘étsa 1).
En pratique : toute la téphila doit se trouver au-dessus de la lisière des cheveux
Puisque de nombreux décisionnaires estiment que toute la téphila doit être placée sur la zone capillaire, et que la mitsva n’est pas accomplie dans le cas où une partie même minoritaire descend en dessous d’elle – de sorte que la bénédiction serait dite en vain –, il convient, en pratique, de se montrer très rigoureux à cet égard (Michna Beroura 27, 33).
Or, puisque l’on fixe autour de la tête la lanière, jour après jour, celle-ci a tendance à s’étirer progressivement, en relâchant quelque peu le nœud ; si bien que la téphila a tendance à glisser vers le front. Il est donc nécessaire de vérifier l’état des lanières tous les six mois, ou à tout le moins une fois par an. En règle générale, mieux vaut resserrer un peu plus au-dessus du nœud, de manière que, même si la lanière se relâche un peu, le boîtier reste en place.
Traduction : Jean-David Hamou



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