Rav Eliézer Melamed
Puisque Pourim n’a lieu qu’un jour par an, qu’il impossible d’envoyer des cadeaux alimentaires (michlo‘hé manot) sans limite, et que l’on ne peut pas non plus participer aux festins de tous nos proches et amis, la question se pose de savoir à qui il est préférable d’envoyer ses cadeaux. Est-ce au cercle d’amis proches, qui sont constamment à nos côtés, ou plutôt à ceux qui sont éloignés ? ou encore, précisément, à ceux avec qui les relations sont parfois tendues ? Est-il préférable d’adresser deux cadeaux à des amis choisis, ou plutôt une dizaine, une vingtaine, une trentaine ? De même pour le michté (festin de Pourim) : vaut-il mieux le passer avec des parents de tel côté ou de tel autre, ou peut-être avec de bons amis ? ou bien encore avec de nouveaux immigrants en Israël, qui sont un peu solitaires ? Vaut-il mieux être dix à table, ou plutôt cinquante ?
La réponse est que toutes les idées sont bonnes ; et tel est bien le propos de Pourim que de prodiguer de l’inspiration pour toute l’année.
À Pourim, on ne peut certes pas adresser des cadeaux alimentaires à tout le monde ; mais grâce à cette fête, nous pouvons comprendre la beauté qu’il y a dans le fait d’offrir des mets à son prochain, de façon que, même après Pourim, tout au long de l’année, nous continuions d’envoyer à nos amis, à ceux qui nous sont chers, des mets savoureux de notre cuisine domestique. Par exemple, quand on prépare des pains tressés (‘halot), ou quelque mets délicieux pour Chabbat, on peut augmenter un peu les quantités, et envoyer un plat à un ami, à une amie dont la semaine a été chargée, ou dont c’est l’anniversaire, ou qui vient d’être engagé dans un nouvel emploi, ou qui vient de perdre son travail… Ainsi, nous pourrons poursuivre, toute l’année durant, le rapprochement des cœurs qui se révèle à Pourim.
Il en va de même du festin. À Pourim, on ne peut s’attabler qu’avec un petit nombre d’amis et de parents ; mais la joie de ce repas nous permettra de comprendre la valeur de l’amitié et de la réjouissance commune. Ainsi, nous nous efforcerons davantage de participer, au cours de l’année, à la joie de nos proches et de nos amis ; ainsi de leurs mariages, circoncisions, et autres rencontres familiales et amicales.
Le principe s’applique encore à la mitsva de donner aux pauvres (matanot la-évionim), grâce à laquelle nous pouvons nous renforcer, toute l’année durant, dans la prescription du ma‘asser kessafim (dîme de nos revenus, versée aux œuvres de bienfaisance), voire du ‘homech (cinquième des revenus, part maximale que l’on peut vouer à la tsédaqa).
Dans le même sens, la lecture du rouleau d’Esther (la Méguila) nous éclaire sur la façon dont Dieu dirige le monde, et nous apprend qu’une situation funeste peut se retourner entièrement, aboutissant au salut ; armés de cette conscience, nous nous renforcerons, tout au long de l’année, dans l’étude de la Torah et la compréhension de la providence que Dieu exerce sur le monde.
Joie de Pourim : la question poignante d’une femme
Question : « Je suis une femme pour qui Pourim est devenu un jour difficile. Ce jour, qui était censé être joyeux, s’est transformé pour moi en l’un des jours les plus pénibles de l’année. La nécessité de préparer de très nombreux cadeaux alimentaires, puis un repas festif, d’aider les enfants à se déguiser et de leur faire faire la mitsva de michloa‘h manot, à quoi s’ajoute l’écoute de la Méguila par deux fois, avec tous les retards et le bruit qu’accompagnent les mentions de Haman… tout cela me pèse. Le festin lui-même m’alourdit et ne m’est pas agréable. En général, mon mari prépare avec moi les repas de Chabbat et de fête ; mais à Pourim, je suis seule responsable des préparatifs. De plus, il me faut m’inquiéter de savoir si mon mari ne s’est pas enivré… En ce cas, il me faut m’occuper de lui, en plus des enfants – outre le désagrément, parfois la honte, que cela occasionne. Bien sûr, il y a des femmes qui se réjouissent de tout cela, mais je suppose que bon nombre de femmes partagent mon sentiment. »
Réponse
Le problème est que, à force de vouloir ajouter à la joie, on passe les bornes, au point que toute joie disparaît. Il en est ainsi de toute bonne chose : quand on exagère, cela devient pesant et nuisible. Les compliments sont chose agréable et réjouissante ; mais quand on dépasse la mesure, ils deviennent risibles. Quoi de plus merveilleux qu’un bon ami ? Mais quand il s’attache à l’excès, il se fait oppressant, et finit par incommoder l’objet de son affection.
Par conséquent, il faut reprendre les choses à la base, et accomplir les mitsvot de Pourim conformément à la halakha ; au-delà de cela, tout ajout ne sera adopté que s’il apporte un réel supplément de joie.
Michloa‘h manot
La mitsva consiste à adresser deux mets à une même personne. Si l’on est un couple, on doit donc offrir deux michlo‘hé manot, chacun adressé à une personne, et chacun contenant deux mets. À l’origine, la préparation du repas festif incluait également celle du michloa‘h manot : tout en préparant le repas, on prélevait deux parts, que l’on envoyait à un voisin ou à quelque autre proche. Ainsi, le supplément d’effort était modeste, tandis que la joie était grande, chacun ayant l’avantage de recevoir une portion de ce que son ami préparait pour lui-même. Et puisque c’est une mitsva que d’éduquer les enfants, on laissait à chacun d’entre eux le soin d’offrir un michloa‘h manot à l’un de ses camarades. Telle est la mitsva. Il n’y a pas lieu d’ajouter à cela, à moins que l’on tire réjouissance de cet ajout.
Lecture de la Méguila
Dans le même sens, il faut s’organiser pour écouter la Méguila en un lieu agréable. Certes, il est a priori préférable de l’écouter dans une grande assemblée ; mais quand cela nous est difficile, par exemple si l’on est dérangé par le tintamarre fait sur le nom de Haman, il est bon de choisir un endroit où la Méguila est lue de façon continue, sans interruption à chaque mention de Haman. Nous écrivions à ce propos, dans Pniné Halakha : « En pratique, ceux qui le souhaitent pourront perpétuer cette coutume, à condition d’avoir soin de laisser à l’ensemble du public présent la possibilité de bien entendre l’intégralité du texte. Mais il est préférable de ne plus faire de bruit après la première mention du nom de Haman ; et quand, dans un minyan donné, la majorité des fidèles préfèrent écouter sans bruit, il est bon que les administrateurs annoncent à l’avance qu’il faudra faire silence. Il n’y a pas là de dérogation à la coutume, mais au contraire, la perpétuation de la coutume observée par toutes les communautés qui, jadis, observaient le silence en écoutant la Méguila » (Zemanim – Fêtes et Solennités juives I, chap. 15 § 13).
Repas de Pourim
De même pour le michté : au lieu d’organiser de trop ambitieuses agapes, on fera ce repas dans le cadre familial. A priori, il est bon d’inviter d’autres membres de la famille, ou des amis ; mais on peut se contenter de festoyer au sein de la stricte cellule familiale.
Il faut accompagner ce repas de pain, et veiller à ce qu’il soit honorable comme un repas de fête. Il est bon que le plat principal soit de la viande bovine ou ovine ; mais si l’on préfère du poulet ou du poisson, voire des mets lactés, on peut en faire son festin.
Selon certains auteurs, c’est une mitsva que de s’enivrer quelque peu
S’agissant de la mitsva de boire, il est dit : « … pour en faire des jours de festin (michté, litt. “de banquet où l’on boit”) et de réjouissance » (Est 9, 22). Mais le propos n’est pas de causer du déplaisir aux autres membres de la famille. On trouve, parmi les décisionnaires, deux définitions de la mitsva.
Les sages, en Méguila 7b, prescrivent de s’enivrer « au point de ne plus savoir distinguer entre “maudit soit Haman” et “béni soit Mordekhaï” » ; et telle est, selon certains auteurs, la halakha (Rif, Roch). En d’autres termes, quoique l’on sache que Haman était un grand pervers, qui voulait exterminer tout Israël, on ne ressentira plus, en citant son nom, la grande peine qu’il est habituel d’éprouver lorsqu’on mentionne le nom des méchants. En effet, tout à la joie de notre boisson, on ne considérera que le bien qui échut à Israël à la suite du décret de Haman : les Juifs firent retour à Dieu (téchouva), et le mauvais décret se changea en grand salut, qui donna lieu à l’institution de la fête de Pourim.
Ainsi pris de boisson, il arrive à l’homme de se conduire de façon moins honorable que d’ordinaire ; parfois même, il se déconsidère quelque peu en sa joie, mais pas au point de s’avilir véritablement. Par conséquent, si l’on sait qu’une telle ivresse risque de nous amener à une conduite laide, ou à commettre des interdits, on devra s’abstenir d’atteindre ce degré d’ivresse. On boira donc assez pour s’assoupir : quand on dormira, on ne saura effectivement plus distinguer entre « maudit soit Haman » et « béni soit Mordekhaï » !
Selon d’autres auteurs, il ne faut pas arriver à l’ébriété
Certains décisionnaires estiment que la mitsva consiste à boire plus que d’habitude, au point d’être sous l’effet de l’alcool (chatouï), mais non de parvenir à l’ébriété (chikor), laquelle risque de causer une conduite peu honorable. Selon cette opinion, la parole talmudique selon laquelle il faut boire au point de confondre entre « maudit soit Haman » et « béni soit Mordekhaï » n’a pas été adoptée en halakha. C’est la thèse de Rabbénou Ephraïm. Selon d’autres, cette parole talmudique est bel et bien adoptée par la halakha, mais il faut l’expliquer différemment : le propos est de boire au point de ne plus être précis en ses paroles, de sorte que, si l’on voulait répéter de nombreuses fois « maudit soit Haman et béni soit Mordekhaï », on se tromperait parfois (Tossephot et Ran). D’autres encore estiment que, lorsque le Talmud parle de boire « jusqu’à ce que l’on confonde… », ce « jusqu’à » ne doit pas être entendu comme « jusques et y compris » : on doit rester en-deçà de ce seuil (Yad Ephraïm).
Halakha pratique
En pratique, chacun choisira pour soi-même la méthode par laquelle il pourra éprouver le mieux, en sa boisson, la joie de la mitsva. Celui qui sait que sa femme souffre de le voir ivre fera bien d’accomplir la mitsva en s’en tenant à la seconde opinion, selon laquelle il suffit de se griser légèrement. Il se peut même que, si la femme souffre véritablement, ce soit signe que le mari a exagéré, quand bien même il suit la première opinion, d’après laquelle la mitsva consiste à s’enivrer. En effet, cette première opinion elle-même n’abolit pas toute limite.
SOUVIENS-TOI D’AMALEQ
Chabbat dernier, nous avons lu la paracha Zakhor, qui nous rappelle, chaque année, l’interdit d’être trop cléments envers les ennemis du peuple juif. Quand il nous arriva d’être exagérément miséricordieux, nous fûmes châtiés pour cela. Ainsi, lorsque Saül eut pitié d’Agag, roi d’Amaleq, ou quand A‘hav, roi d’Israël, eut pitié du roi d’Aram.
Certes, personne n’a plus, de nos jours, le statut d’Amalécite ; mais le principe selon lequel il faut vaincre entièrement un ennemi cruel reste en vigueur. Nous avons pour mitsva de nous en souvenir, de ne point l’oublier, et, grâce à cela, de poursuivre dans le combat le dessein d’une entière victoire. Malheureusement, nombreux sont ceux qui, de nos jours, au sein du commandement militaire et politique, oublient cela. Aujourd’hui encore, nous entendons des commandants et porte-parole de Tsahal qui parlent de « démanteler des bataillons ennemis », de « porter des coups aux chefs ennemis », afin de les contraindre à plus de souplesse dans les négociations, etc. Ce n’est que lorsque nous les entendrons dire qu’il faut combattre l’ennemi jusqu’à reddition entière et sans condition, que nous serons assurés de pouvoir gagner.
« LA PERLE QUOTIDIENNE »
Ce prochain Chabbat, 15 adar, jour de Chouchan Pourim, dans le cadre de l’étude intitulée Hapnina hayomite (« la perle quotidienne ») – étude de deux paragraphes de Pniné Halakha par jour, dans la version hébraïque –, nous commencerons l’étude des halakhot de Chabbat. Six mille personnes environ participent à cette étude, aux quatre coins du pays. Comme nous l’écrivions à la fin du mois de ‘hechvan (en novembre dernier), alors que nous nous apprêtions à commencer l’étude des bénédictions, j’avais d’abord pensé que ce rythme était un peu lent : si nous étudions davantage de paragraphes chaque jour, nous pourrions achever rapidement l’étude de tous les volumes, à l’exemple des quelque centaines de personnes qui étudient quotidiennement dix paragraphes, et qui, en un an, achèvent toute la série Pniné Halakha. Mais je me suis moi-même associé à cette étude, au rythme de deux paragraphes quotidiens, et me suis aperçu que ce rythme même permet une étude significative. Un paragraphe s’ajoute à l’autre, pour constituer une masse importante.
Ceux qui commenceront avec nous l’étude des lois de Chabbat pourront achever les deux volumes de ces halakhot avant la fin de l’année – depuis la signification du Chabbat, les obligations positives de ce jour et la délectation que l’on en doit tirer, jusqu’aux abstentions à observer, les trente-neuf travaux interdits et les directives rabbiniques. Avant Roch hachana, nous devrions commencer le volume consacré aux lois de la prière. Ceux qui se joignent à cette étude par le biais du site Hapnina hayomite pourront y recevoir une aide à l’étude.
Traduction : Jean-David Hamou
Note du traducteur : « La Perle quotidienne » existe aussi en français ; on peut s’y inscrire à l’adresse suivante, afin de recevoir la publication par courriel ou par Whatsapp : https://ph.yhb.org.il/pninayomit-fr/
Puisque le français est nettement plus long que l’hébreu, la version française propose chaque jour un paragraphe unique de Pniné Halakha, ce qui constitue déjà une étude substantielle.



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