Rav Eliézer Melamed:
Question : conviendrait-il de réciter la bénédiction Chéhé‘héyanou (« Béni sois-Tu, Éternel, notre Dieu, Roi de l’univers, qui nous as fait vivre, nous as maintenus et nous as fait parvenir à pareille époque », ou bien encore la bénédiction Hatov vé-hamétiv (« Béni sois-Tu…, qui es bon et bienfaisant », après que les forces de sécurité israéliennes ont réussi à frapper les hautes sphères de l’armée iranienne, et après que les États-Unis se sont joints à Israël pour faire exploser les installations nucléaires en Iran ? Quelle bénédiction conviendrait-il de prononcer ?
Réponse : quiconque a éprouvé de la joie en ces circonstances avait lieu de réciter Chéhé‘héyanou, parce que nous avons pu frapper nos ennemis et leurs armes aux yeux du monde entier. Cependant, il n’y a pas d’obligation à cela. Il existe en effet deux types de circonstances dans lesquelles se récite la bénédiction Chéhé‘héyanou : dans le premier cas, la réciter est obligatoire ; dans le second, c’est une mitsva de rang facultatif. Les cas d’obligation sont relatifs aux jours de fête et à leurs commandements : la sonnerie du chofar, le séjour dans la souka, la mitsva des quatre espèces, la consommation du pain azyme, sont autant de cas dans lesquels la bénédiction est obligatoire. Chéhé‘héyanou est en revanche une simple faculté quand il s’agit de remercier Dieu pour des choses nouvelles et bonnes, qui sont source de renouveau pour l’homme et qui le réjouissent : celui qui récite la bénédiction accomplit alors une mitsva, mais celui qui ne la récite pas ne commet point de faute. En effet, cette bénédiction dépend de la joie du cœur ; or il est impossible de mesurer la joie à une aune invariable, de sorte que l’on ne saurait rendre obligatoire une telle bénédiction en ces circonstances (cf. Pniné Halakha – Lois des bénédictions 17, 2, note 1).
Il est juste de dire Chéhé‘héyanou, et non Hatov vé-hamétiv, car cette dernière bénédiction a été instituée pour répondre à un bienfait concret, commun à deux personnes au moins. C’est le cas, par exemple, quand un couple achète une nouvelle maison, de nouveaux ustensiles, ou quand deux amis boivent ensemble un second vin, qui s’ajoute à celui que l’on avait d’abord servi. Chéhé‘héyanou, en revanche, est une bénédiction de reconnaissance plus générale, qui s’applique également aux bonnes nouvelles ne comportant pas de jouissance immédiate et sensible. Par exemple, celui qui apprend que son fils a reçu une importante distinction, ou a enregistré un gain très grand récitera cette bénédiction (cf. op. cit. 17, 8). La bonne nouvelle dont nous parlons, qui porte sur la destruction des installations nucléaires iraniennes, n’est pas « directement sensible » comme peut l’être tel gain financier direct, ou l’achat d’une maison, ou d’ustensiles, sur lesquels on récite Hatov vé-hamétiv ; elle porte sur l’éloignement d’un danger existentiel, et sur le rehaussement de l’honneur d’Israël. La bénédiction à réciter est donc Chéhé‘héyanou.
De plus, s’agissant de Chéhé‘héyanou, le risque de bénédiction vaine n’est pas tellement à craindre. En effet, selon le Rivach (chap. 505), dans la mesure où cette bénédiction est facultative, on n’applique point le principe d’après lequel « en cas de doute portant sur une bénédiction, on s’abstient » ; au contraire, en cas de doute, celui qui se réjouit est fondé à réciter la bénédiction. Certes, dans leur majorité, les décisionnaires ne s’accordent pas avec l’opinion du Rivach à ce propos ; mais un nombre non négligeable de décisionnaires partagent son avis, parmi lesquels on trouve le Baït ‘Hadach, le Peri ‘Hadach, l’Elya Rabba, le Tsla‘h et le ‘Hatam Sofer. Par conséquent, tant qu’il semble que Chéhé‘héyanou doive être récité, il y a lieu de le dire, sans craindre de prononcer une bénédiction vaine.
Si l’on souhaite réciter également Hatov vé-hamétiv, on pourra boire du vin en compagnie : on dira Haguéfen sur le premier vin, puis on en apportera un second qui, à certains égards, sera supérieur au premier ; on dira alors Hatov vé-hamétiv sur ce second vin, puis on en boira, et l’on se réjouira à cette occasion du salut dont nous avons bénéficié.
Question : une discussion s’est engagée entre mes proches et moi. Certains estimaient que la réussite des attaques contre l’Iran était un miracle d’une éclatante évidence, car selon les lois naturelles, un si grand succès eût été inenvisageable. D’autres soutenaient au contraire que ce succès s’était produit suivant les voies de la nature, grâce à l’action de personnes intelligentes, appliquées et idéalistes. Qui donc a raison ?
Réponse : il faut d’abord rappeler que la distinction entre nature et miracle n’existe que du point de vue de l’homme. Il lui semble en effet que les lois de la nature vont de soi, s’appliquent de manière autonome, tandis que les miracles lui sont incompréhensibles, de sorte qu’ils l’impressionnent davantage. Mais du point de vue du Créateur, il n’y a pas de différence essentielle entre nature et miracle, puisque c’est Dieu qui fait vivre et maintient toute chose, le naturel et le miraculeux tout ensemble. Par conséquent, ce que nous appelons miracle pourrait tout aussi bien être appelé nature. À l’inverse, la nature elle-même peut être considérée comme miraculeuse, puisque c’est par la seule volonté divine qu’elle se maintient, comme nous le disons dans le texte de la prière : « Tes miracles qui nous accompagnent chaque jour » (Na‘hmanide sur Ex 13, 16).
En d’autres termes, la discussion visant à savoir si tel événement tient du miracle ou d’un processus naturel n’a de sens que du point de vue humain. Or du point de vue humain, nous parlons ici de succès remarquables, obtenus grâce à l’aide divine, mais par des chemins naturels. Il ne s’agit pas de miracles, en ce sens que ces faits ne dérogent pas aux lois de la nature. Mais, comme toute chose en ce monde, ils se sont produits par la grâce de Dieu – a fortiori, s’agissant de succès exceptionnels, dans lesquels l’aide divine est davantage discernable.
Quel inconvénient y aurait-il à considérer ces faits comme miraculeux ?
Question : quand bien même on peut expliquer tout succès ponctuel par les lois naturelles, un succès aussi global que celui-là ne constitue-t-il pas un miracle extraordinaire, qu’il est de notre devoir de reconnaître comme tel ? Quel dommage y aurait-il à qualifier de miracle ce qui s’est produit ? Ne serait-ce pas là une plus grande marque d’émouna ?
Réponse : premièrement, ce qui est dommageable est de définir les choses de manière inexacte. Le sceau de Dieu, c’est la vérité (Chabbat 55a), et toute dérogation faite à la vérité nous écarte de la voie divine.
Deuxièmement, qualifier de miracle ce qui résulte de la sagesse, de l’application et du courage, risque d’inciter certaines personnes à s’en remettre au miracle, tout en négligeant la mitsva toranique du service militaire, ou la mitsva de peupler et d’édifier la terre d’Israël – ce qui inclut aussi le développement scientifique et économique de l’État.
Il importe d’y insister : c’est à l’aide divine que nous devons tous ces succès. Autrement dit, les résultats militaires ont été atteints par des hommes idéalistes, compétents et courageux, qui, des années durant, ont recueilli des renseignements avec ténacité et ingéniosité, et ont conçu des plans efficaces ; ce avec le concours de soldats valeureux, qui s’étaient entraînés en vue de ces missions, et y risquèrent leur vie, s’infiltrant en territoire ennemi par les airs et par la terre, pour infliger à l’ennemi un coup sévère. Mais sans l’aide divine, les plus zélés et les plus compétents eux-mêmes ne sauraient réussir ; à combien plus forte raison quand il s’agit de succès d’une telle ampleur. Le psalmiste dit ainsi : « Si l’Éternel ne bâtit une maison, c’est en vain que peinent ses bâtisseurs ; si l’Éternel ne garde une ville, c’est en vain que veille le guetteur » (Ps 127, 1). En d’autres termes, il nous faut bel et bien construire et poster des gardes ; mais sans l’aide divine, nos efforts resteraient vains – de même que les Iraniens ont échoué, malgré tous leurs efforts ; car Dieu ne veut pas la réussite des pervers.
En résumé, lorsque nous définissons nos succès comme il convient, ceux-ci nous incitent à remercier l’Éternel pour son aide, et à poursuivre nos efforts de développement scientifique, économique et sécuritaire en faveur du pays.
Ne faut-il pas craindre la tendance à s’attribuer l’origine de nos succès ?
Question : n’est-il pas à craindre que, en définissant ces succès comme l’effet d’un processus naturel, on en vienne à s’enorgueillir, et à fauter en s’appliquant le verset : « C’est ma force et la puissance de mon bras qui m’ont valu cette réussite » (Dt 8, 17) ?
Réponse : on fait un usage erroné de ce verset. Souvent même, sa citation est accompagnée d’une déconsidération fautive : celle de la mitsva de l’engagement militaire, laquelle doit au contraire être considérée comme d’importance égale à l’ensemble des autres mitsvot réunies – par elle, en effet, le peuplement juif et la construction du pays sont rendus possibles ; et par elle, on se porte au secours du peuple juif.
Nous voudrions expliquer un peu plus en détail de quoi il est question ici. La Torah nous ordonne d’observer toutes les mitsvot. Parmi elles, se trouve la mitsva de peupler la terre d’Israël, comme il est dit : « Toute la loi que Je vous prescris en ce jour, vous aurez soin de l’observer, afin que vous viviez et multipliez, que vous veniez et héritiez du pays que l’Éternel a promis à vos pères » (Dt 8, 1). Après cela, la Torah nous avertit de ne pas oublier tous les bienfaits et tous les miracles que l’Éternel produisit en notre faveur, dans le désert, de crainte que, constatant notre bénédiction et notre succès – ce qui renforce grandement l’homme –, nous n’en tirions orgueil et n’oubliions l’Éternel et la mission qui nous incombe. Il est dit en effet : « Tu dirais en ton cœur : c’est ma force et la puissance de mon bras qui m’ont valu cette réussite » ; et par suite, nous disparaîtrions de ce bon pays.
Afin que cela n’arrive pas, la Torah prescrit : « Tu te souviendras de l’Éternel ton Dieu, car c’est Lui qui te donne la force d’atteindre à cette réussite, afin d’accomplir son alliance, qu’Il jura à tes pères, comme en ce jour » (ibid. 8, 18). Le Ran explique que, si la Torah avait voulu amoindrir la valeur des œuvres d’Israël, elle aurait dit : « car c’est Lui qui te donne la réussite ». Or il est dit : « car c’est Lui qui te donne la force d’atteindre à cette réussite » ; cela, afin de nous apprendre qu’Israël accomplit des prouesses par lui-même, mais qu’il doit se souvenir que l’Éternel seul donne la force de les accomplir (Ran, début du Derouch 10).
Nous voyons donc que, lorsque les enfants d’Israël s’enorgueillissent de leur force et de la vigueur de leur bras, en oubliant que c’est Dieu qui la leur donne, ils pèchent par présomption, et leur châtiment est de disparaître de ce bon pays. De même, lorsqu’ils méconnaissent la force que l’Éternel leur a donnée, ils s’inscrivent dans la continuité de la faute des explorateurs, ignorent la providence de l’Éternel et négligent ses mitsvot. Pour cela aussi, nous sommes châtiés, et disparaissons de cette bonne terre.
Faut-il fixer un jour de joie ? un cantique semblable à celui de la mer Rouge ?
Question d’un autre correspondant : ne conviendrait-il pas de fixer un jour de fête et de réciter un cantique, tel que le cantique de la mer Rouge, pour célébrer les grands prodiges qui ont été produits en notre faveur lors de notre guerre contre l’Iran ? En effet, le miracle qui a eu lieu est véritablement aussi grand que celui de la traversée de la mer Rouge, ou que le sauvetage d’Ézéchias – or celui-ci fut puni pour n’avoir pas alors chanté de cantique.
Réponse : il faut se garder des exagérations. Ézéchias fut sauvé, sans qu’il eût à accomplir un quelconque effort, d’une armée qui menaçait de le détruire. L’ouverture de la mer Rouge fut le plus grand miracle jamais advenu, qui mit fin à la sortie d’Égypte, et par lequel l’Éternel se révéla au monde au travers de son peuple. Il y eut, par la suite, d’autres miracles, mais non du même ordre. Au contraire, la conduite du peuple juif en terre d’Israël doit principalement s’inscrire dans les voies de nature. C’est précisément ainsi que la foi parfaite devient manifeste dans le cours du monde : en ce que toutes les créatures, Israël en son centre, prolongent la parole et la bénédiction divines en ce monde (cf. Pniné Halakha, Émouna – La Foi juive et ses Commandements 18, 3-5).
Bien plus : il est fréquent que des crises succèdent à l’apparition de miracles manifestes. Plus grand est le miracle, plus grande est la crise. En effet, après la survenance de grands miracles, les hommes ont du mal à poursuivre leur existence dans la grandeur, et souvent chutent. C’est ce qui arriva aux Hébreux sortis d’Égypte : après tous les grands miracles dont ils furent témoins, ils commirent la faute du veau d’or et celle des explorateurs, et furent condamnés à mourir dans le désert.
Sur les pas du roi David
Dans notre génération, il nous revient de marcher sur les pas du roi David qui, jamais, ne se fiait au miracle, mais demandait toujours à Dieu de l’aider à préparer ses soldats, de lui donner force et sagacité afin de vaincre ses ennemis. Par ce mérite, il fut le roi qui connut les plus grandes victoires d’Israël, sur un mode non miraculeux ; et plus que tout autre roi, il fut celui qui abonda en prières, en actions de grâce et en louanges à l’Éternel. Les sages disent de lui : « Toutes ses années durant, David ne fit jamais de bon rêve » (Berakhot 55b). Ses rêves étaient mauvais, parlaient de guerre, de destruction et de ruine (Zohar I 200a). Mais comme il était animé d’une grande foi, ses mauvais rêves ne le désespéraient pas ; ils le conduisaient au contraire à prendre conscience des dangers qui le guettaient alentour. Ainsi s’appliquait-il à la préparation de son armée, toujours aux aguets ; grâce à quoi il apportait le salut au peuple d’Israël. Nous devons prendre exemple sur le roi David, être toujours prêts à la guerre, prier pour que l’Éternel nous vienne en aide, le louer et chanter en son honneur, en nous accompagnant sur les instruments de musique, pour le remercier de toute délivrance qu’Il nous accorde, sans une once d’orgueil.
En revanche, s’agissant des jours où il nous fut donné de progresser sensiblement dans l’accomplissement de la mitsva de peupler le pays – en quoi la Délivrance consiste principalement –, nous avons l’obligation de fixer des jours de fête. C’est bien pourquoi nous fêtons Yom ha‘atsmaout (jour de l’Indépendance) et Yom Yerouchalaïm (jour de la réunification de Jérusalem).
Traduction : Jean-David Hamou



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