LE FIL D’AZUR, EN PRATIQUE

Question : « Dans votre dernière chronique, vous avez écrit qu’il y avait un intérêt à fixer un fil d’azur (tékhelet) à ses franges rituelles (tsitsit). La question que je me pose est : quelle opinion faut-il suivre quant au nombre de fils bleus apparents ? Celle de Maïmonide, du Raavad ou de Tossephot ? »

Réponse : trois positions se dégagent en effet, parmi les Richonim (autorités médiévales), s’agissant du nombre de fils teints en bleu – sachant que chaque tsitsit comprend quatre fils pliés en deux, soit huit brins apparents.

  1. D’après de nombreux Richonim, deux des quatre fils des tsitsit (soit quatre des huit brins apparents) sont blancs ; les deux autres fils (là encore, quatre brins apparents) sont teints en bleu. Il est vraisemblable, en effet, que les deux couleurs aient statut égal. Telle est l’opinion de Rachi (Mena‘hot 38a, s.v. Hatékhelet), de Tossephot (s.v. Hatékhelet), du Roch (Tsitsit 6), de Rabbi Yehouda ben Binyamin ‘Anav, du Rid (Rabbi Yechaya di Trani l’Ancien), de Rabbi Samson de Sens, du ‘Itour, du Séfer Mitsvot Qatan, du Séfer Yeréïm et du Nimouqé Yossef. C’est encore en ce sens que s’expriment le Tour (Ora‘h ‘Haïm 11), le Levouch (11, 4), le ‘Olat Tamid (9, 5), le Choul‘han ‘Aroukh Harav (11, 1) et le Michna Beroura (9, 7 ; 14).
  2. En revanche, selon le Raavad (Tsitsit 1, 6), il convient d’utiliser un seul fil d’azur, comme le laisse entendre le verset : « Et à la frange, ils fixeront à l’angle un fil d’azur » (Nb 15, 38). Suivant le Raavad, chaque tsitsit comprend donc un fil teint en bleu et trois fils blancs. C’est aussi l’opinion du ‘Aroukh (entrée Tékhelet), du Méïri (Yevamot 5b) et du Riaz (Rabbi Yechaya di Trani le Jeune) (Tsitsit 223). Le Gaon de Vilna tranche également en ce sens (Yahal Or sur le Zohar, section Pin‘has ; notes sur le Sifré, Ki Tetsé), ainsi que le ‘Hida (‘Homat Anakh I, Chela‘h 10).
  3. Selon Maïmonide (Tsitsit 1, 6), l’expression biblique pétil tékhelet (« fil d’azur ») désigne un demi-fil – autrement dit un seul des huit brins apparents : celui que l’on utilise pour enrouler les fils blancs. C’est en ce sens que se prononce le fils de Maïmonide, Rabbi Avraham (Séfer Hamnahig 642), ainsi que les auteurs suivants : Rabbi Pera‘hia (Chabbat 25b), Séfer Haqana, Cha‘ar Hakavanot (4ème discours sur les tsitsit), Maguid Mécharim (section Chela‘h). C’est aussi en ce sens qu’incline le Michkenot Ya‘aqov (13), et c’est ainsi que tranche l’Or Saméa‘h (Tsitsit 1, 6).

D’autres écrivent simplement « un fil », sans préciser s’il faut entendre par-là un brin sur huit (à la façon de Maïmonide), ou bien un fil sur quatre (à la façon du Raavad). C’est le cas de Rav Chemouel bar ‘Hofni Gaon, de Na‘hmanide, de Rabbénou Ba‘hyé (Nb 15, 38) et du Zohar (III 175b).

En pratique, chacune de ces opinions a sa raison d’être, et quiconque adopte l’une d’entre elles accomplit la mitsva. Cependant, j’ai personnellement tendance à suivre le Raavad, dont l’opinion tient l’équilibre entre les deux autres, et est soutenue par le Gaon de Vilna et le ‘Hida. De même, il paraît plus vraisemblable que l’on teignît de bleu un fil entier – comme il ressort du traité ‘Erouvin (96b). Ce passage talmudique discute en effet du cas où l’on trouve un fil d’azur, et où l’on se demande si celui-ci a été fabriqué en vue de la mitsva de tsitsit. Or personne ne propose, pour dissiper ce doute, de constater si seule la moitié du fil est teinte.

Comment enrouler les fils

D’un point de vue strictement halakhique, toutes les formes de nœuds et d’enroulements sont valides, comme il ressort de la Guémara (Mena‘hot 39a). Sur ce point également, j’incline dans le sens du Raavad (Tsitsit 1, 7), qui suit l’opinion de Rav Netronaï Gaon et de Rabbénou Guerchom (Mochav Zeqenim sur Nb 15, 38). Cette méthode permet en effet de conserver l’usage qui, jusqu’ici, était établi pour les tsitsit intégralement blancs, et qu’expose le Choul‘han ‘Aroukh (Ora‘h ‘Haïm 11, 14) : on fait cinq nœuds, séparés par quatre séries d’enroulements (‘houliot), pour un total de trente-neuf tours. Selon le Raavad, ces tours alternent fil blanc et fil d’azur, la première et la dernière spire de chaque série étant faites en blanc – à l’exception de la deuxième série, pour laquelle on ne se montre pas pointilleux.

Traduction : Jean-David Hamou


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