EST-IL PERMIS DE FAIRE ENTRER UN CHIEN GUIDE D’AVEUGLE À LA SYNAGOGUE ?

 

Question : un monsieur atteint de cécité souhaiterait venir prier dans notre synagogue en compagnie de son chien guide. Il en a fait la demande à l’administrateur, mais celui-ci a refusé, au motif que la présence d’un chien porterait atteinte à l’honneur de la synagogue et des fidèles. Certains fidèles, en revanche, ont estimé que l’administrateur faisait erreur ; selon eux, il y a lieu d’accueillir honorablement ce fidèle avec son chien guide. Que dit la halakha ?

Réponse : en règle générale, il est interdit d’introduire des animaux dans la synagogue, car celle-ci est réservée aux choses saintes. La présence d’animaux porterait atteinte à la dignité du lieu, et risquerait de distraire les fidèles. La question qui se pose ici est la suivante : en cas de nécessité pressante (cha‘at had‘haq), comme cela semble être ici le cas, la chose devient-elle permise ?

 

Quelques données sur les chiens guides

 

Il y a environ cent ans, on a découvert le moyen d’aider les aveugles grâce au dressage de chiens. Au début, seul un petit nombre de personnes non voyantes bénéficiaient de cette aide. Il y a environ cinquante ans, l’utilisation de chiens guides était déjà répandue aux États-Unis ; quinze ans plus tard, on les vit apparaître en Israël. Pour certains aveugles, cependant, ou pour leur famille, posséder un chien serait chose difficile, de sorte qu’ils préfèrent se déplacer plus lentement, à l’aide d’une canne.

Il y a environ vingt‑cinq ans, certaines personnes voyantes souffrant de stress post-traumatique (TSPT) ont également commencé à recourir à des chiens dressés. Ceux-ci leur apportent un sentiment de sécurité, soulagent leur anxiété, et leur permettent de reprendre une vie normale. Ils sont entraînés à percevoir l’anxiété dès qu’elle commence à s’insinuer dans l’esprit de la personne, ou lorsque débute un cauchemar nocturne, et apprennent à s’approcher du patient avec affection et chaleur pour le calmer.

 

Opinion indulgente du Rav Feinstein

 

En 5713 (1953) aux États-Unis, le Rav Moshe Feinstein (1895‑1986) écrivit qu’il est permis à un aveugle d’entrer à la synagogue avec son chien (Igrot Moché, Ora‘h ‘Haïm I, 45) – de même que les sages de la Guémara permettaient à celui qui souhaitait étudier la Torah, et se trouvait en route avec son âne, d’entrer à la maison d’étude avec son animal (Talmud de Jérusalem, Méguila 3, 3). Il apparaît également qu’Abayé, lorsqu’il était jeune élève et orphelin, se rendait en tout endroit, sous la conduite de sa nourrice, en compagnie de son chevreau (Berakhot 62a) ; or il est probable qu’il entrât également ainsi à la maison d’étude.

Il se peut que l’introduction d’un animal dans la synagogue soit considérée comme irrespectueuse lorsqu’elle n’est pas nécessaire. Mais quand il existe un besoin réel – par exemple pour éviter que l’âne ou le chevreau ne soit volé –, on ne considère pas cela comme un véritable irrespect. Par conséquent, pour que l’aveugle ne se trouve pas privé toute sa vie de prière communautaire, ni de lecture publique de la Torah et de la Méguila, il convient de lui permettre de se rendre à la synagogue avec son chien. Il est simplement préférable qu’il s’assoie sur le côté pour limiter la gêne des fidèles.

 

Opinion rigoureuse du Rav Breish

 

Le Rav Mordekhaï Ya‘aqov Breish (1896-1976), né en Galicie et qui fut rabbin de la communauté orthodoxe de Zurich, s’opposa au Rav Feinstein. Selon lui, il est interdit d’introduire un chien dans une synagogue, car ce serait grandement irrespectueux. Tout ce que les sages ont autorisé, c’est d’entrer avec un âne ou un chevreau dans une maison d’étude, où il est également permis aux étudiants de prendre leur repas – mais non dans une synagogue. De plus, il se peut que, s’agissant même de la maison d’étude, les sages aient seulement permis d’attacher les animaux à l’extérieur, non de les introduire à l’intérieur. En outre, il existe un risque sérieux que le chien détourne l’attention des fidèles, en particulier des jeunes. Or nous savons que les sages ont fixé des règles précises afin que tout dérangement fût évité pendant la prière (‘Helqat Ya‘aqov, Ora‘h ‘Haïm 34, publié en 1965).

Le Rav Breish précise : « De plus – et c’est pour moi l’essentiel –, dans ces contrées où la licence règne et où le judaïsme s’est tant affaibli, nombreux sont les gens impudents qui paradent partout avec leurs chiens… Conduire constamment ces animaux ne s’accorde pas avec un judaïsme véritablement investi ; seuls les arrogants agissent ainsi. » Or si l’on permettait de faire entrer un chien d’aveugle à la synagogue, les gens risqueraient de penser : « C’est le chien du président de la communauté, ou de quelque autre notable, qui l’accompagne dans ses allées et venues » ; et d’autres en viendraient à s’autoriser la même chose. L’auteur poursuit : « Puisque le judaïsme s’est à ce point affaibli, en raison de nos nombreuses fautes, surtout en nos contrées, si l’on ouvre une brèche de l’épaisseur d’une aiguille, elle deviendra bientôt une porte béante. Et il se peut que l’on trouve alors quelque “Rabbi” pour autoriser cela. Se réclamant d’une haute autorité, celui-ci prétendrait que “la chose a été permise par les décisionnaires orthodoxes en cas de grande nécessité” ; et lui, en tant que “Rabbi”, déciderait ce qu’il faut entendre par “grande nécessité”. Or il pourrait, à Dieu ne plaise, en résulter une grande profanation du nom divin ; car les chrétiens, eux, interdisent d’introduire des chiens dans leurs églises, et voici qu’à la synagogue, ce serait permis ! »

 

Autres décisionnaires rigoureux

 

D’une manière générale, les décisionnaires qui interdisent l’introduction d’un chien d’aveugle à la synagogue estiment qu’il y aurait là une grave atteinte à la dignité du lieu. De plus, le chien risquerait d’effrayer les fidèles – en particulier les enfants – et de troubler ainsi la prière. On trouve d’ailleurs, dans les paroles de nos sages, des propos sévères à l’encontre des chiens dangereux et agressifs.

Le Rav Moché Malka, Grand-rabbin de Pétah Tikva, écrit ainsi dans Miqvé Hamaïm (V, 21) : « Il n’est point de mépris ni d’outrage plus grand que celui-là envers la maison de prière. » Le Rav ‘Haïm David Halévi, Grand-rabbin de Tel Aviv, s’exprime en ce sens en Maïm ‘Haïm (III, 16) ; de même, l’auteur du Yalqout Yossef (151, 25) au nom de son père, le Primat de Sion Rav Ovadia Yossef. C’est encore l’avis des autorités et ouvrages suivants : Rav Kasher (Torah Cheléma XV, supplément 10, dans la note), Che‘arim Metsouyanim Bahalakha (13, 2), Cha‘aré Moché du Rav Steinberg de Kiryat Yam (151, 1), Michnat Yossef (9, 53). C’est aussi en ce sens qu’incline le Rav Chelomo Amar, dans ses responsa Chama’ Chelomo (IV, 3). Ces auteurs préconisent d’attacher le chien à l’extérieur de la synagogue, tandis qu’un fidèle conduira la personne aveugle à l’intérieur.

 

Autres décisionnaires indulgents

 

À l’inverse, les décisionnaires indulgents estiment que l’introduction d’un chien guide d’aveugle dans la synagogue ne constitue pas une atteinte grave à la dignité du lieu ; dès lors, pour une nécessité aussi importante que celle-là, il est permis de le faire entrer. Telle est l’opinion du Rabbi de Loubavitch (Igrot Qodech XVIII). C’est également l’avis de notre maître le Primat de Sion, Rav Mordekhaï Elyahou (Maamar Mordekhaï II, Ora‘h ‘Haïm 14), du Rav Pin‘has Toledano (du Maroc et de Londres, dans son Berit Chalom I, Ora‘h ‘Haïm 16), du Rav Elyachiv (Minachim Baohel, p. 125), du Rav ‘Haïm Kanievsky (Da‘at Nota I, Téphila 68) et du Rav Chelomo Aviner (Pisqé Chelomo I, p. 120).

 

Fondements de la controverse

 

Il semble que l’essentiel de la controverse porte sur le lien général que nous avons avec les chiens : de là dérive le fait de savoir si leur introduction à la synagogue doit être considérée comme une grande atteinte à l’honneur dû au lieu. Jusqu’à l’époque moderne, il n’était pas courant d’élever des chiens d’agrément – à l’exception de quelques rares personnes, principalement les rois et les seigneurs. Ce n’est que pour les besoins de la garde (de la maison, du troupeau…) qu’on les élevait. On voyait surtout en eux des aboyeurs, des animaux menaçants. Les faire entrer dans les maisons était, aux yeux des gens, choses vile et dégoûtante – à la différence d’un âne, dont la présence au domicile était considérée comme admise et souhaitable, en ce qu’il servait de monture et portait des charges. De nos jours encore, dans les pays islamiques, mais aussi dans les communautés orthodoxes ‘harédites, il n’est pas du tout commun d’élever des chiens. Aussi considérerait-on comme un grand affront qu’un chien entrât à la synagogue.

En revanche, au cours des derniers siècles, en Europe et dans d’autres régions économiquement avancées, on a vu se développer l’adoption de chiens d’agrément, au point qu’aujourd’hui, ceux qui élèvent des chiens à leur domicile se comptent par centaines de millions ; et ils consacrent parfois de fortes sommes à leur achat et à leur entretien. Dans le même temps, on a appris à recourir à des chiens pour des besoins thérapeutiques et d’assistance. Pour qui est habitué à la compagnie canine, faire entrer un chien guide d’aveugle à la synagogue, en cas de nécessité pressante, ne saurait donc être considéré comme une grave atteinte à la dignité du lieu.

 

Chiens dressés

 

De plus, il ressort des propos des décisionnaires rigoureux qu’ils ne connaissaient guère les chiens, notamment ceux qui sont dressés. C’est pourquoi ils exprimaient la crainte que le chien n’aboyât ou ne fît ses besoins à la synagogue. Or les chiens guides sont spécialement dressés pour ne point aboyer inutilement, et pour ne pas faire leurs besoins en dehors de temps et de lieux déterminés. De même, certains auteurs ont fait valoir que les non-Juifs ne donnent pas accès aux chiens guides dans leurs lieux de culte ; or ils ne savaient sans doute pas que, dans les pays occidentaux, de nombreuses églises les y admettent.

Pour donner un ordre d’idée et mesurer combien il s’agit là d’un animal de grande valeur, il faut savoir qu’un chien guide pour aveugle coûte environ cent cinquante mille shekels. Il accompagne son maître pendant quelque huit années, puis prend sa « retraite » en tant qu’animal de compagnie (selon les données du Centre israélien des chiens guides). Le dressage d’un chien d’assistance pour personnes souffrant de stress post-traumatique est plus simple : il coûte à partir de trente mille shekels.

 

Halakha pratique

 

À présent que des centaines de millions de personnes élèvent des chiens chez elles, on ne peut plus considérer l’introduction d’un chien à la synagogue comme une atteinte grave à la dignité du lieu. Ainsi, en cas de nécessité pressante – pour permettre à un aveugle ou à une personne souffrant de stress post-traumatique de participer à la prière publique –, il convient de l’y admettre. Afin de prévenir les perturbations de l’office, il est préférable de l’installer à l’arrière de la salle, près de l’entrée.

Toutefois, dans les communautés dont les fidèles ne sont pas habitués à côtoyer des chiens, ni à les apprécier, la présence d’un chien guide à la synagogue serait perçue comme une profanation ; par là même, cela perturberait aussi la concentration des fidèles dans leur prière. Dans de telles communautés, on peut adopter l’avis des rabbins rigoureux à cet égard.

Dans la mesure du possible, il est souhaitable d’apprendre au public à faire preuve de compassion envers les aveugles et les personnes souffrant de stress post-traumatique, de manière à les accueillir à la synagogue avec leur chien. Il n’y a en effet nulle mitsva, nul mérite à considérer le chien comme un animal méprisable. Il semble également qu’au fil des années, s’accroît la conscience de l’utilité des chiens, qui sont perçus comme des animaux plus dignes de respect. De ce fait, un nombre croissant de rabbins permettent désormais la présence de chiens guides à la synagogue.

 

Traduction : Jean-David Hamou

 

 


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