Photo d'une maguen David et d'un signe chinois

LA QUESTION DES CULTES PAÏENS, DE NOS JOURS, À L’ÉGARD DES AUTRES PEUPLES | Revivim | Rav Eliézer Melamed

Question : « J’ai entendu dire que, selon certains décisionnaires, les adeptes des religions orientales et les chrétiens ne sont pas considérés par la halakha comme transgressant l’interdit d’idolâtrie applicable aux descendants de Noé (les Noachides), dès lors qu’ils croient dans le Dieu suprême. En effet, bien que leur culte puisse comprendre des éléments de paganisme, ces gens sont considérés comme convenables, dès lors qu’ils croient en un Dieu supérieur, qui surplombe les autres entités auxquelles ils vouent un culte, et qu’ils se conduisent par ailleurs de façon juste, eu égard aux autres commandements prescrits aux descendants de Noé. Cependant, j’ai également entendu dire qu’on ne saurait s’appuyer sur cette opinion, car elle est seulement celle de décisionnaires isolés. Qu’en est-il ? »

Réponse : notre relation aux membres de ces religions résulte d’une pluralité de notions, que nous ne pouvons aborder ici ; mais il est vrai que le sujet principal qui régit cette question est celui du « culte étranger associant la notion de Dieu à celle de quelque autre entité » (‘avoda zara be-chitouf). Or, selon la majorité des décisionnaires, un tel culte n’est pas, à l’égard des non-juifs, considéré comme un fait d’idolâtrie. En d’autres termes, parmi les sept commandements noachides, se trouve l’interdit d’idolâtrie ; mais quand le non-juif croit en l’Éternel-Dieu, et quoiqu’il mêle à sa foi une croyance en des idoles, on ne considère pas encore qu’il transgresse l’interdit fondamental d’idolâtrie. Nous essaierons de résumer le sujet, depuis ses bases jusqu’à la règle pratique.

« Culte étranger par association »

Commençons pas une définition : l’adepte d’un « culte étranger par association » est celui qui croit que, au-dessus de toute chose, il existe un Dieu suprême, le « Dieu des dieux », lequel est source de toutes les entités, et capable d’influer sur celles-ci. Parallèlement à cela, il croit que ce Dieu suprême a créé diverses entités spirituelles, qui gouvernent le monde, et que ces entités sont dotées d’une faculté autonome d’influer sur les événements, de faire du bien ou de faire du mal ; elles font du bien à ceux qui les adorent, et font du mal à ceux qui ne les servent point. Pour qu’elles lui soient favorables, l’adepte se prosterne donc devant les statues qui sont censées les représenter, et accomplit devant elles des actes cultuels. Ce faisant, il associe à la foi en un Dieu suprême une foi en des idoles.

Pour les Israélites, l’idolâtrie par association est interdite au même titre que l’idolâtrie « pure et dure », ainsi qu’il est dit : « Celui qui sacrifie aux autres dieux, sauf à l’Éternel seul, sera voué à la mort » (Ex 22, 19). Qu’en est-il pour les autres peuples ?

Opinion rigoureuse

Selon les décisionnaires rigoureux, l’idolâtrie par association est interdite aux non-juifs, aussi bien qu’aux juifs. En effet, s’il était permis aux non-juifs de servir des idoles en les associant à la foi dans le Dieu suprême, l’interdit d’idolâtrie serait, à leur égard, vidé de son sens, puisque tous les idolâtres reconnaissent, d’une manière ou d’une autre, l’existence d’un Créateur antérieur, qui se trouve au-dessus de toute chose. Le prophète Malachie dit ainsi : « Car du levant au couchant, grand est mon nom parmi les peuples, et en tout lieu l’encens est présenté en mon nom, ainsi qu’offrande pure ; oui, grand est mon nom parmi les Peuples, dit l’Éternel des Armées » (Ma 1, 11). Les sages expliquent que le propos du verset est de dire que, en tout endroit, les idolâtres eux-mêmes invoquent l’Éternel, « Dieu des dieux » (Mena’hot 110a) ; malgré cela, ils sont bien appelés idolâtres (Me’il Tsédaqa 22).

Les auteurs rigoureux se fondent également sur les paroles des sages interdisant de commercer avec des chrétiens le dimanche et les trois jours qui précèdent, à la manière des limitations en usage à l’endroit des idolâtres (‘Avoda Zara 6a) ; ce, bien que les chrétiens associent notoirement le nom du Ciel à leur culte. Certes, les Richonim, au Moyen Âge, autorisèrent en pratique le commerce avec les chrétiens ; mais les partisans de la rigueur expliquent cette indulgence par le fait que les chrétiens, en ce temps-là, n’étaient pas fanatiques, ou par le souci d’éviter de susciter leur rancune, ou encore par les nécessités de la subsistance, non par le fait que le statut d’idolâtre ne leur serait pas applicable. Par conséquent, les auteurs rigoureux tiennent qu’un culte étranger auquel s’associe la reconnaissance de Dieu est interdit aux non-juifs eux-mêmes, de sorte que les chrétiens, et à plus forte raison les adeptes des religions orientales, doivent être considérés comme idolâtres.

C’est aussi l’opinion du Rav Chemouel Landau, fils de Rabbi Ye’hezqel Landau, auteur du Noda’ Biyehouda (cf. Noda’ Biyehouda, deuxième édition, Yoré Dé’a 148 ) et des décisionnaires suivants : Rav Ephraïm Cohen (Cha’ar Ephraïm 24), Rav Yona Landsofer (Me’il Tsédaqa 22), Rav Raphaël Hacohen (Véchav Hacohen 38 ), Rav Yossef Téomim (Peri Mégadim, Sifté Da’at sur Yoré Dé’a 65, 11), Rabbi Aqiba Eiger (Responsa, vol. IV, Yoré Dé’a 43), Rav Tsvi Yehouda Hirsch Kalischer (Emouna Yechara II 7), Rav Yossef Babad (Min’hat ‘Hinoukh 86, 2) et d’autres.

Opinion indulgente

Cependant, selon la majorité des décisionnaires et des commentateurs, quoiqu’il convienne aux descendants de Noé de professer une foi unitaire, seul le peuple d’Israël y est obligé, tandis qu’il n’est pas interdit aux Noachides d’associer à la foi en Dieu un culte païen. On ne saurait soutenir que tout païen associe la reconnaissance de Dieu à son culte : tant que le païen pense que le Créateur primordial n’exerce pas d’influence sur le monde, et qu’il ne s’adresse donc pas à Lui pour le servir, il est considéré comme pleinement idolâtre. C’est seulement s’il a foi dans le fait que le « Dieu des dieux » influe sur le monde et que sa prière doit lui être également adressée, qu’il sera considéré comme « idolâtre par association ».

Passages talmudiques qui confortent les tenants de l’opinion indulgente

La Torah ordonne à Israël de détruire toute statue vouée à un culte idolâtre, et de ne point en tirer profit ; les Noachides, en revanche, n’ont pas cette obligation (‘Avoda Zara 64a). On peut voir en cela un argument à l’appui des décisionnaires indulgents : tant que les Noachides croient dans le Dieu suprême, leurs statues ne sont pas pleinement considérées comme des idoles, et c’est bien pourquoi ils n’ont pas de raison de les détruire.

Dans le même sens, nous voyons que l’offrande d’un Israélite coupable d’idolâtrie n’est pas recevable, tandis qu’on reçoit celle d’un Noachide ayant servi des idoles (‘Houlin 5a) : puisque ce païen vient présenter une offrande à l’Éternel, c’est signe qu’il associe à son culte la foi en Dieu ; dès lors, il n’a pas le statut d’idolâtre.

Nous voyons aussi que les juifs doivent être prêts à faire don de leur vie pour la foi en l’unité divine, et refuser de se prosterner devant une idole ; les enfants de Noé, eux, n’ont pas cette obligation (Talmud de Jérusalem, Sanhédrin 3, 5). Cela s’explique aisément : tant qu’ils croient en un Dieu suprême, ils ne sont pas considérés comme idolâtres ; dès lors, ils n’ont pas besoin de sacrifier leur vie.

Motif de la différence entre Israël et les nations

La différence provient du fait que l’Éternel s’est révélé aux Israélites, leur prescrivant de manière spéciale la foi en l’unité divine, comme il est dit : « Écoute, Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un » (Dt 6, 4). De même, dans les dix Commandements, il est écrit : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face. Tu ne te feras pas de statue (…) tu ne te prosterneras pas devant eux ni ne les serviras, car Je suis l’Éternel ton Dieu, un Dieu jaloux… » (Ex 20, 2-5). Na’hmanide (ad loc.) explique que cette « jalousie » est particulière à l’endroit d’Israël, car ce peuple est spécifié par Dieu pour le servir, distingué par Lui d’entre toutes les nations, comme il est dit : « Je vous ai distingués d’entre les peuples pour être à Moi » (Lv 20, 26). Il est dit également : « Vous me serez une nation de prêtres, un peuple saint » (Ex 19, 6). Aussi, lorsque des Israélites servent des idoles, la jalousie divine s’éveille contre eux, « à l’exemple d’un homme pris de jalousie à l’encontre de sa femme, si elle se livre à d’autres, ou d’un maître dont la jalousie s’éveille à l’endroit de son esclave, qui se vouerait à un autre maître ». On peut ajouter, dans le même ordre d’idées, que les prêtres (cohanim), au sein même du peuple juif, font l’objet de mises en garde particulières ; quand un simple juif, n’appartenant pas à la tribu sacerdotale, les enfreint, il ne commet aucune faute.

Il est également prescrit à Israël : « Vois, je vous ai enseigné des lois et des statuts. (…) Seulement, garde-toi, et garde ton âme extrêmement, de crainte que tu n’oublies les choses que virent tes yeux, et de crainte qu’elles ne s’écartent de ton cœur, aucun des jours de ta vie. (…) Le jour où tu te tenais devant l’Éternel ton Dieu au Horeb. (…) Vous prendrez grand soin de vos âmes, car vous ne vîtes aucune image, le jour où l’Éternel ton Dieu vous parla au Horeb, du sein du feu. De crainte que vous ne vous corrompiez, et que vous ne vous fassiez une statue. (…) Et de crainte que tu n’élèves les yeux vers le ciel, et que, voyant le soleil, la lune et les étoiles, toute l’armée céleste, tu ne te laisses induire à te prosterner devant eux et à les servir, alors que l’Éternel les a donnés en partage à tous les peuples, sous tous les cieux » (Dt 4, 5-20).

Les Richonim expliquent que, puisque l’Éternel ne s’est pas révélé aux nations du monde au même titre qu’il se révéla à Israël au Sinaï, sa providence s’illustre, à leur égard, par le biais de forces et de dévoilements divers, comme il est dit : « L’Éternel les a donnés en partage à tous les peuples, sous tous les cieux. » Et puisque l’Éternel dispense l’abondance à tous les peuples par le biais des astres, des constellations et des anges à eux préposés, ces peuples risquent de leur attribuer des pouvoirs autonomes, et de les servir (Rachbam, Na’hmanide, Rachba et d’autres).

Position des décisionnaires, en pratique

Cette opinion indulgente est aussi celle de Rabbi Moché Isserles (Rema, Darké Moché ; Choul’han ‘Aroukh, Ora’h ‘Haïm 156, 2) et des autorités suivantes : Rabbi Chabtaï Cohen (Sifté Cohen, Yoré Dé’a 151, 7), Rabbi Moché Rivkes (Beer Hagola, ‘Hochen Michpat 428, 1), Rav Yaïr Bacharach (‘Havot Yaïr 185), Rav Alexander Chor (Tevouot Chor IV 1). C’est aussi ce qu’ont largement expliqué le Rav Binyamin Zeev Boskowitz (Séder Michné sur Maïmonide, Yessodé Hatorah 1, 7, 1-3 ; ‘Avoda Zara 3, 3) et le Rav Yossef Chaoul Nathanson (Choel Ouméchiv, deuxième édition I 51, troisième édition I 55 et en de nombreux autres endroits, dans ses responsa et ses ouvrages de Torah). C’est encore ce qu’écrivent le Rav Elazar Fleckeles (Techouva Méahava I 69), le Rav Chelomo Zalman Lifshitz (‘Hemdat Chelomo, Ora’h ‘Haïm 36, 14), le Rav Ya’aqov Ornstein (Yechou’ot Ya’aqov, Ora’h ‘Haïm 156, 1), le Rav Avraham Hacohen de Salonique (Chiouré Tehora 200, 6), le Rav ‘Haïm Falagi (‘Haïm Oumélekh, Mélakhim 9, 2), le Rav Jacob Ettlinger (Binyan Tsion I 63), le Rav Yeqoutiel Yehouda Teitelbaum (Avné Tsédeq, Yoré Dé’a 105), le Rav Ra’hamim Franco (Cha’aré Ra’hamim 5), Rabbi David Tsvi Hoffman (Melamed Leho’il, Yoré Dé’a 55), le Rav Mordekhaï Horowitz (Maté Lévi II Yoré Dé’a 28 ), le Rav Yits’haq Eisik Halévi Herzog (Te’houqa le-Israël I 2, 6), le Rav Yossef Elyahou Henkin (Kitvé Hagria Henkin II p. 226), le Rav Avraham Aharon Price (Michnat Avraham II 1, 1-2 et autres), le Rav Chalom Messas (Chémech Oumaguen III, Ora’h ‘Haïm 30-31) et d’autres décisionnaires, nombreux.

Par ailleurs, nombre d’auteurs expriment ce principe dans le contexte d’homélies, d’essais spirituels ou de commentaires bibliques (en dehors, donc, de la littérature du type responsa) : Rav Moché Zakout, cité en Miqdach Mélekh (Haazinou p. 106), Rav Chalom Bouzaglo, Rav Pinhas Horowitz, auteur de la Haflaa (Panim Yafot, Béréchit 11, 1 ; 31, 53 et autres), Rabbi Lévi Yits’haq de Berditchev (Qedouchat Lévi, Vaet’hanan 5, 7), Rav Tsvi Hirsch Hayot (Torat Heneviim 11), Malbim (sur II R 17, 34 et autres versets). Dans le même sens, le Rav Kook écrit : « L’association [d’une entité spirituelle à la personne divine] leur est, pour l’instant, le plus haut point d’élévation » (Orot, Israël Out’hiyato 5). Ailleurs, le même auteur note : « Les Noachides n’ont pas été mis en garde contre l’association, car [le culte de Dieu seul] est inaccessible à leurs conceptions et à leurs forces psychiques [présentes] » (Chemona Qevatsim 8, 44) ; le Rav Charlap se prononce dans le même sens (Mei Marom 10, 35 ; 12, 32, 2). De même le Tséma’h Tsédeq, Rabbi Mena’hem Mendel de Loubavitch (Dérekh Mitsvotékha, mitsva de l’unité divine), selon qui c’est là l’opinion de Maïmonide (‘Avoda Zara 1, 1-2), et le dernier Rabbi de Loubavitch, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson (Liqouté Si’hot XX p.16, note 44).

Conclusion

Pour le peuple juif, le service d’une entité autre que Dieu, même « par association » avec Lui, est interdit, et entièrement considéré comme de l’idolâtrie. Toutes les lois destinées à nous éloigner de l’idolâtrie s’appliquent ainsi, dans la même mesure, au « culte par association ». Par contre, pour les autres peuples, de l’avis de la majorité des décisionnaires, il n’est pas interdit de pratiquer un culte étranger « par association », et c’est là le principal motif de toutes les indulgences de la halakha quant à nos relations avec les chrétiens.

Traduction : Jean-David Hamou


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