LA TRIBU DE LEVI, AU SERVICE DU PEUPLE

LA TRIBU DE LEVI, AU SERVICE DU PEUPLE | Revivim | Rav Eliézer Melamed

Le rôle des lévites

Question : certains disent que les étudiants de yéchiva qui ne s’engagent pas à l’armée sont comparables aux membres de la tribu de Lévi, qui approfondissaient la Torah dans les maisons d’étude et ne prenaient point part aux guerres d’Israël. Selon eux, telle est l’opinion de Maïmonide. Ces paroles sont-elles exactes, selon la Torah ?

Réponse : ces paroles ne sont pas fondées. Au contraire, les membres de la tribu de Lévi furent voués au service du peuple, et c’est à cela qu’ils se consacraient. Les jours ordinaires, leur rôle était d’aller au-devant du peuple, de lui enseigner la Torah, de lui exposer les règles de droit, et de servir de commissaires pour tout ce qui concernait la loi et l’organisation sociale – tant dans le domaine de la relation au prochain que dans celui de la relation à Dieu. En temps de guerre, leur rôle était de renforcer la détermination des combattants, comme le font de nos jours le rabbinat militaire et le Corps de l’éducation et de la jeunesse, et de service de police militaire, imposant les lois de l’enrôlement à l’ensemble du peuple, punissant sévèrement les déserteurs et ceux qui fuyaient le champ de bataille.

De même, les lévites défendaient l’arche sainte – que l’on transportait aux côtés des combattants – et le haut commandement rangé près d’elle, à la manière d’une « légion du roi » (nous dirions aujourd’hui « l’unité d’élite de l’état-major »). Quant à ceux qui n’avaient pas d’affectation de cet ordre, ils étaient parmi les premiers à aller au combat avec le reste des soldats, comme il convient à des serviteurs du peuple de rang supérieur.

Expliquons un peu plus en détail chacun des rôles que nous venons de citer.

La tribu de Lévi était chargée d’enseigner les chemins de l’Éternel

L’Éternel a sanctifié la tribu de Lévi et, en son sein et au premier chef, les prêtres (cohanim), afin qu’ils accomplissent le service du sanctuaire et enseignassent la Torah à tout Israël. En pratique, le service du sanctuaire ne requérait chaque lévite et chaque prêtre que deux semaines par an, suivant une règle de rotation des gardes. Le reste de l’année, ils enseignaient la Torah à l’ensemble du peuple, comme il est dit : « Ils enseigneront tes lois à Jacob, ta Torah à Israël » (Dt 33, 10). De même, ils servaient au sein du rabbinat et de la magistrature, comme il est dit : « Si un cas judiciaire t’est inconnu, en matière criminelle, en matière civile ou en matière d’atteinte corporelle, pour tout différend paraissant en tes portes (..), tu viendras devant les prêtres lévites et le juge qui sera en fonction à cette époque. Et tu demanderas, et ils te diront l’arrêt de justice » (Dt 17, 8-9). De même, le prophète Malachie dit de Lévi et de sa descendance : « Mon alliance était avec lui, la vie et la paix. (…) Une loi de vérité était dans sa bouche, l’injustice ne se trouvait point sur ses lèvres. Il marchait avec Moi selon la paix et la droiture, et il en fit revenir de nombreux de la faute ; car les lèvres du prêtre conserveront le savoir, et de sa bouche on demandera la loi » (Ma 2, 5-7).

Afin que les prêtres et les lévites pussent remplir leurs fonctions, la Torah prescrivit de ne pas leur attribuer de portion sur la terre d’Israël : ils se répartiraient dans l’ensemble du territoire, et chaque tribu leur attribuerait en sa portion des villes de résidence (Nb 35, 1-8 ) ; et c’est bien ce que firent les enfants d’Israël (Js 21, 3).

Prélèvements et dîmes affectées à l’effort d’enseignement toranique

La Torah a prescrit aux enfants d’Israël de sustenter les lévites et les prêtres par le biais de prélèvements et de dîmes, afin qu’ils n’eussent pas besoin de se livrer à une activité rémunératrice, et qu’ils pussent enseigner la Torah et trancher la halakha. Le propos n’était pas qu’ils étudiassent de nombreuses années dans des yéchivot, mais qu’ils apprissent la Torah afin de l’enseigner à leur tour au peuple, conformément à ce que la Torah dit elle-même de la mitsva d’étude : celle-ci y apparaît essentiellement en tant que devoir de former des disciples et d’instruire ses enfants (Dt 6, 7 ; 11, 19 et Sifré ad loc. ; Qidouchin 31a). Or c’est bien eux qui étaient appelés « garants de la religion » (ma’haziqé hadat). Ceci est conforme à ce qu’enseigne le roi Ezéchias : « Il dit au peuple, aux habitants de Jérusalem, de donner la part des prêtres et des lévites afin qu’ils soutinssent la Torah de l’Éternel » (II Chr 31, 4). Les sages commentent : « Quiconque [parmi les prêtres et les lévites] soutient la Torah de l’Éternel a vocation à recevoir une part [parmi les dons réservés à la tribu sacerdotale] ; mais qui ne soutient pas la Torah de l’Éternel n’a pas vocation à recevoir de part » (‘Houlin 130b). Selon Rabbi Samson ben Abraham de Sens et le Roch, il est interdit de remettre à un ignorant des dons destinés à la prêtrise. Maïmonide estime, en revanche, qu’il est permis d’accorder de tels dons à un ignorant ; mais a priori, dit-il, la mitsva est d’affecter ces dons à des prêtres et à des lévites qui enseignent la Torah. La halakha suit la majorité des Richonim : c’est une mitsva que de réserver les dons de la prêtrise aux enseignants de Torah, et c’est seulement dans le cas où il ne se trouve pas d’érudit présent qu’on les octroie à un ignorant (Tossephot, Na’hmanide, Rachba, Ran, Ritva et Méïri sur ‘Houlin 130b ; Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 61, 7 ; cf. Pniné Halakha – Cacheroute 7, 3, note 1).

Fonctions de police

Les membres de la tribu de Lévi exerçaient également des fonctions de police, en faisant respecter la loi et l’ordre public en Israël (cf. I Chr 23, 1-4 ; ibid. 26, 29). Ainsi, à l’époque de Josaphat : « Et vous aurez devant vous les lévites pour officiers ; soyez forts et agissez donc, et que l’Éternel soit avec l’homme de bien ! » (ibid. 19, 11). De même, sous le règne de Josias : « Parmi les lévites étaient des scribes, des officiers et des portiers » (ibid. 34, 13). Nos sages enseignent, dans le même sens, que les lévites, en tant qu’officiers de police, secondaient les juges afin de sanctionner les coupables (Sifré sur Dt 15).

Les sages enseignent encore : « Au début [à l’époque du premier Temple], on ne nommait de policiers que parmi les lévites, comme il est dit – “Et vous aurez devant vous les lévites pour officiers” » (Yevamot 86b). À l’époque du second Temple, dans la mesure où peu de lévites étaient revenus de Babylonie, on recrutait les officiers de police dans toutes les tribus.

Encourager l’armée et les combattants

La tribu de Lévi avait un autre rôle honorable : encourager les soldats d’Israël. À cette fin, on oignait – en plus du Grand-prêtre, qui était responsable du service du Temple – un prêtre appelé cohen mechoua’h mil’hama, « prêtre oint pour la guerre » (c’est-à-dire préposé à la guerre). Son rôle était de partir aux côtés des soldats, afin de les encourager à combattre avec bravoure (Dt 20, 2-4).

Les prêtres avaient encore pour mitsva de sortir aux côtés des combattants et de sonner des trompettes, pour manifester la sainteté de la mission que les soldats s’apprêtaient à accomplir, comme il est dit : « Et les prêtres, fils d’Aaron, sonneront des trompettes. (…) Et quand vous irez en guerre pour votre pays, contre l’ennemi qui vous oppresse, vous sonnerez des trompettes en fanfare, et vous vous recommanderez au souvenir de l’Éternel votre Dieu, et serez sauvés de vos ennemis » (Nb 10, 8-9).

Commissaires de la guerre

Outre les paroles d’encouragement prononcées par le prêtre préposé à la guerre, les commissaires décidaient de qui partirait au combat. Pour une guerre facultative (mil’hémet rechout), ils exemptaient d’enrôlement ceux qui venaient de planter une vigne ou de bâtir une maison, ainsi que les jeunes mariés dans la première année suivant leurs noces ; de même, ils exemptaient ceux à qui le courage faisait défaut (Dt 20, 5-8 ). Pour une guerre obligatoire (mil’hémet mitsva), c’est-à-dire une guerre destinée à sauvegarder le pays et le peuple de la main ennemie, les commissaires n’exemptaient personne, excepté ceux qui étaient effectivement inaptes au combat. Les sages disent à ce propos : « Pour une guerre obligatoire, tous partent ; le nouveau marié lui-même quitte sa chambre, et la jeune épousée son dais nuptial » (Sota 8, 7).

Une fois la guerre commencée, les commissaires servaient hardiment comme gardes, afin de relever ceux qui étaient tombés au combat, et de punir très sévèrement ceux qui fuyaient le champ de bataille. La Michna enseigne ainsi : « Ils étaient équipés de barres de fer, et avaient le droit de frapper aux jambes quiconque tentait de fuir ; car tout commencement de fuite engendre la défaite » (Sota 8, 6). En d’autres termes, si on laissait aux soldats apeurés la possibilité de fuir, c’est tout Israël qui finirait par tomber devant l’ennemi.

Rachi, dans son commentaire de la Torah (Nb 26, 13), écrit : « J’ai trouvé dans le Talmud de Jérusalem [Sota 1, 10 ; et la chose est rapportée dans d’autres sources midrachiques] que, lorsque Aaron mourut, les nuées de gloire se retirèrent, et les Cananéens vinrent faire la guerre à Israël. Alors, les Hébreux voulurent retourner en Égypte : ils firent marche arrière et parcoururent huit étapes, de Hor-la-montagne à Mosséra. (…) Mais les lévites les poursuivirent pour les faire revenir, et tuèrent sept familles d’entre eux ; d’entre les lévites, quatre familles tombèrent. »

Porter l’arche, élever sa prière

Les prêtres portaient également l’arche sainte, qui voyageait avec les combattants sur le champ de bataille, afin d’accomplir le verset : « Car c’est l’Éternel votre Dieu qui marche avec vous, afin de combattre pour vous vos ennemis, afin de vous sauver » (Dt 20, 4 ; Séfer Yeréïm 432).

Tandis que les soldats partaient se battre, certains lévites chantaient des cantiques et priaient pour l’avant-garde guerrière. La Bible relève ainsi, pour l’époque de Josaphat : « Les lévites, membres de la famille de Qehat et de la famille de Qora’h, se levèrent pour louer l’Éternel, Dieu d’Israël, à très haute voix. (…) Et comme ils commençaient chants et louanges, l’Éternel suscita des embûches contre les gens d’Amon, de Moab et du mont Séïr, qui marchaient contre Juda, et qui furent battus » (II Chr 20, 19-22). Certaines sources disent que le psaume 20, « Que l’Éternel te réponde au jour de détresse… », fut écrit à l’intention des lévites, qui priaient pour les soldats (Méïri sur Sota 42b).

La tribu de Lévi combattait au nom du peuple d’Israël

Après que les prêtres et les lévites avaient rempli toutes les missions qui leur étaient propres – encourager les soldats, agir en tant que police militaire, servir comme chantres et officiants –, beaucoup d’entre eux servaient en tant que valeureux soldats. Nous voyons ainsi que, lorsqu’on vint introniser David, nombre de combattants d’avant-garde étaient lévites – « Des lévites, quatre mille six cents » (I Ch 12, 26) – ou prêtres – « trois mille sept cents » (ibid. 27), alors que la tribu du Juda fournissait six mille huit cents soldats, celle de Shimon sept mille cent, celle d’Ephraïm vingt mille huit cents (ibid. 24-25 et 30).

À la lumière de tout cela, on peut à présent comprendre les paroles de Maïmonide : « Pourquoi Lévi n’a-t-il pas eu part à l’héritage de la terre d’Israël, ni au butin avec ses frères ? Parce qu’il fut distingué pour servir l’Éternel, accomplir son sacerdoce, et enseigner ses voies droites et ses justes lois au grand nombre. (…) C’est pourquoi [les lévites] furent mis à l’écart des voies du monde [ils ne s’occupent pas de leur subsistance, mais de servir le public], ils ne font pas la guerre comme les autres Israélites, n’héritent point d’un territoire ni ne s’approprient rien par la force physique. Mais ils sont l’armée de l’Éternel, comme il est dit : “Bénis, Éternel, sa légion” (Dt 33, 11). Et Lui, béni soit-Il, pourvoit à leurs besoins, comme il est dit : “Je suis ton lot et ton héritage” (Nb 18, 20) » (Lois de l’année sabbatique et du jubilé 13, 12-13).

Notre maître, le Rav Kook – que la mémoire du juste soit bénie –, explique que les lévites étaient dispersés dans tout le territoire israélite ; aussi ne combattaient-ils point pour conquérir quelque portion tribale. En revanche, ils combattaient dans le cadre des guerres menées par l’ensemble du peuple. En d’autres termes, « quand tout Israël part en guerre, eux aussi ont l’obligation d’y prendre part. La guerre, quand elle est celle du peuple d’Israël, participe, elle aussi, du service de l’Éternel ; car quiconque est davantage spécifié pour le service divin est davantage obligé que le reste du peuple. »

Maïmonide ajoute que quiconque veut être semblable à la tribu de Lévi peut se sanctifier à cette fin ; mais le propos n’est pas de dire que l’on peut, de cette façon, se dispenser du service militaire. Au contraire, on devient, ce faisant, davantage voué au service du peuple et de son armée.

En effet, les soldats qui combattent au sein de l’armée se battent pour l’honneur du Ciel et pour l’honneur d’Israël. Et comme l’écrit Maïmonide sur les combattants, pris généralement, ceux-ci doivent se ceindre de courage : « Une fois que l’on sera entré dans la trame du combat, on s’appuiera sur l’Espoir d’Israël et son Sauveur en temps de détresse, et l’on se souviendra que c’est au nom de l’unité divine qu’on livre bataille. Aussi l’on n’éprouvera point de crainte en exposant sa vie, et l’on ne concevra point de peur » (Lois des Rois 7, 15) ; de même que les lévites, qui ne combattaient pas pour quelque portion territoriale, mais pour l’honneur de Dieu et de son peuple.

Conclusion

Nous voyons donc que la mission des lévites et celle des prêtres était de servir le public, d’enseigner la Torah, d’exercer des fonctions juridictionnelles et policières en faveur du peuple d’Israël. Pour remplir ces fonctions, ils devaient agir avec courage contre les malfaiteurs et les gens violents, de même qu’à l’encontre des soldats déserteurs. À cette fin, nombre d’entre eux devaient être entraînés au combat ; aussi, en temps de guerre, ils s’engageaient dans la bataille en tant soldats, au sein des unités les plus combattantes. De même à l’époque hasmonéenne : quand les Grecs voulurent amener les Israélites à renier leur religion, les prêtres et les lévites furent appelés à se lever et à combattre héroïquement pour la préservation du peuple et du pays. Le beit-din hasmonéen déclara alors que combattre, même le Chabbat, était une mitsva. Grâce à leur bravoure, le royaume d’Israël fut rétabli pendant plus de deux cents ans ; et c’est bien pourquoi, jusqu’à ce jour, nous fêtons Hanouka (cf. Na’hmanide sur Nb 8, 2).

Traduction : Jean-David Hamou


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