TSÉDAQA OFFERTE PAR DES PERSONNES NON-JUIVES CONVENABLES

TSÉDAQA OFFERTE PAR DES PERSONNES NON-JUIVES CONVENABLES | Revivim | Rav Eliézer Melamed

Dans notre précédent article, il était question de l’interdit, pour un juif, de recevoir de l’argent de non-juifs au titre de la bienfaisance (tsédaqa), ce en raison de la profanation du nom divin qu’il y aurait en cela. Il ne faudrait pas, en effet, que les nations s’exclamassent : « Combien abaissés sont les juifs, et combien l’est leur religion ! Ils ne peuvent même pas sustenter leurs pauvres, et c’est à des gens d’autres peuples de le faire ! » (Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 254, 1 ; Touré Zahav et Levouch 1). De plus, faire de tels dons leur serait un grand avantage, de nature à prolonger l’asservissement du peuple juif en exil.

Il y a cependant deux limitations à l’interdit : 1) il est permis de recevoir une tsédaqa offerte par des non-juifs quand ces derniers sont de bonnes et convenables personnes ; 2) il est permis de recevoir, même de la part d’idolâtres, des contributions destinées à des œuvres saintes, contributions qui ne constituent pas une tsédaqa. Nous voudrions à présent exposer plus précisément ces règles et, ce faisant, dire s’il est permis de recevoir une tsédaqa ou des dons provenant de chrétiens amis d’Israël.

Permission de recevoir la tsédaqa de non-juifs convenables

Les non-juifs convenables, desquels il est permis de recevoir une tsédaqa, sont ceux qui observent les sept mitsvot noachides, et auraient, s’ils vivaient en terre d’Israël, le statut de guer tochav, étranger résident.

Cette permission possède deux motifs : premièrement, pour les juifs eux-mêmes, c’est une mitsva que de donner la tsédaqa au guer tochav, quand celui-ci est dans le besoin ; il n’y a donc rien de rabaissant à recevoir une tsédaqa de sa part, puisqu’il s’agit alors de liens de réciprocité. Deuxièmement, s’agissant des « étrangers résidents », au sens où le judaïsme l’entend, le propos n’est pas de limiter leurs mérites : au contraire, il est bon que leurs mérites se multiplient.

Deux définitions du non-juif convenable

Certains auteurs estiment que sont tenus pour cachères (convenables) les non-juifs qui, devant une juridiction rabbinique, se sont engagés à observer les sept commandements des enfants de Noé. Ils sont alors considérés comme guer tochav, et c’est une mitsva de rang toranique que de les soutenir financièrement en cas de difficulté (Kessef Michné sur Hilkhot Mélakhim 10, 10 ; responsa Yech Mé-ayin 14).

Mais de nombreux décisionnaires pensent que, même s’ils n’ont pas fait une semblable déclaration devant un tribunal rabbinique, il suffit qu’ils observent en pratique les mitsvot noachides pour être considérés comme d’honorables gentils, à qui il convient de donner la tsédaqa en cas de difficulté. Dès lors, il est également permis de recevoir d’eux une tsédaqa (Peri Haadama, Mélakhim 10, 10 ; Techouva Miyira de Rabbi Elyahou David Rabinowitz Téomim, Mélakhim 10, 10 ; Tsits Eliézer XV 33).

Les chrétiens convenables sont-ils considérés comme guer tochav ?

Certains auteurs estiment qu’il est permis, à ce titre, de recevoir la tsédaqa de chrétiens convenables, puisqu’ils bénéficient du statut de guer tochav. Certes, l’un des sept commandements noachides est l’interdit de l’idolâtrie, or les chrétiens croient que leur messie est de nature divine ; c’est pourquoi la majorité des décisionnaires considèrent le christianisme comme une forme d’idolâtrie. Mais cela ne vaut qu’à l’égard des juifs eux-mêmes, pour qui les interdits liés à l’idolâtrie sont plus sévères. Les non-juifs qui partagent la foi chrétienne, en revanche, n’ont pas le statut d’idolâtres. En effet, ils associent au culte christique la foi en l’Éternel ; or, selon la majorité des décisionnaires, il n’est pas interdit aux noachides d’associer au culte de Dieu celui d’une autre entité (responsa Halakhot Qetanot II 92 ; Zéra’ Emet II 112 ; Rabbi ‘Haïm Falagi, Chéma’ Avraham 51 ; ‘Aroukh Hachoul’han, Yoré Dé’a 254, 3 ; Rav Yossef Messas, Mayim ‘Haïm I 82).

Si l’on souhaite s’appuyer sur cette opinion, ce doit être, à ce qu’il semble, à la condition que les chrétiens dont il s’agit croient dans le fait qu’Israël est le peuple désigné par Dieu pour lui être un peuple saint, une nation de prêtres. Il est en revanche interdit de recevoir la tsédaqa d’un chrétien estimant que la chrétienté a remplacé le peuple d’Israël, et qui, par miséricorde seulement, voudrait adresser une aumône à un juif. Ce serait une profanation du nom divin, car l’acceptation d’une telle aumône renforcerait sa conviction, abaisserait la foi d’Israël, et contribuerait à prolonger l’exil.

A priori, il n’y a pas lieu d’être indulgent à cet égard

Il semble que l’autorisation d’accepter la tsédaqa de non-juifs justes ne s’applique point a priori. En effet, il est a priori souhaitable, pour tout pauvre qui peut se sustenter sans tsédaqa, de s’abstenir de recevoir une telle aide. Comme l’a dit Rabbi Aqiba : il est préférable de donner à son Chabbat l’ordinaire d’un jour de semaine, plutôt que de recevoir la tsédaqa (Pessa’him 112a).

Si l’on est contraint d’accepter une tsédaqa, il est préférable de la recevoir des membres de sa famille ou de ses amis proches, plutôt que d’une caisse de bienfaisance. Et plus le donateur est éloigné du donataire, à l’exemple de l’étranger résident, plus il faut s’efforcer de se débrouiller sans cette aide. Quoi qu’il n’y ait pas là d’interdit, il y aurait quelque chose d’humiliant dans le fait que le peuple juif ne parvînt pas à sustenter ses pauvres, et que ceux-ci eussent besoin de l’aumône des nations. C’est même l’un des signes de la malédiction annoncée aux enfants d’Israël, dans le cas où ils s’écarteraient des commandements de l’Éternel, comme il est dit : « L’étranger qui est en ton sein prendra de plus en plus d’ascendant sur toi, et tu descendras de plus en plus bas. Il te prêtera et tu ne lui prêteras pas ; il sera en tête et tu seras à la queue » (Dt 28, 43-44).

Autorisation de recevoir, de la part d’étrangers même idolâtres, des dons destinés à une synagogue

L’interdit consiste précisément à recevoir, de la part de non-juifs non convenables, une tsédaqa destinée à sustenter les pauvres. Mais il n’est pas interdit de recevoir, même de la part d’idolâtres, un don destiné à la synagogue.

Nos sages apprennent cela du cas de l’offrande volontaire d’un non-juif idolâtre, laquelle est recevable, comme il est dit : « Quiconque, de la maison d’Israël ou des étrangers qui habiteront parmi eux, offrira un holocauste… » (Lv 17, 8 ) ; ce que les sages commentent : « [L’expression] inclut les idolâtres qui, comme les Israélites, font des vœux ou des promesses d’offrandes volontaires » (‘Houlin 5a). De même, on accepte d’étrangers idolâtres des contributions aux dépenses synagogales ; par exemple, un don destiné à l’achat d’un chandelier (‘Arakhin 6a ; Tossephot sur Baba Batra 8b ; Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 259, 4 ; Rema 254, 2). En effet, seule la tsédaqa, parce qu’elle a un effet d’expiation des fautes, ne doit pas être reçue d’eux ; en revanche, on agrée leurs sacrifices et prélèvements destinés au culte, lesquels ne sont pas destinés à l’expiation (Hagahot Achré ; Touré Zahav 254, 4).

Cela n’est pas constitutif d’une profanation du nom divin : au contraire, par sa contribution, le païen veut s’associer à Israël dans le service de Dieu. Bien plus, si un juif a fait un don d’argent pour l’achat d’un chandelier, les administrateurs de la synagogue sont autorisés, s’il n’est pas besoin de chandelier, à changer la destination de ce don, et à acheter quelque autre chose, nécessaire au culte. Par contre, il est interdit de changer, sans son accord, la destination du don fait par un non-juif, car il est à craindre que celui-ci ne s’irrite contre les juifs, en disant qu’ils ont détourné sa contribution, ce qui causerait une profanation du non divin (‘Arakhin 6b ; Choul’han ‘Aroukh, Yoré Dé’a 259, 3). Il faut toutefois veiller, lorsqu’un non-juif fait un don à la synagogue, à ce que ce soit au su des juifs et avec leur accord, afin qu’il soit clair que l’intention du donateur n’est pas d’offrir un don au Temple, ou, à l’inverse, à quelque sanctuaire idolâtre (Choul’han ‘Aroukh ad loc. 4 ; Touré Zahav 7).

Dans le même sens, il est permis de recevoir de non-juifs – même s’ils n’ont pas le statut de guer tochav – des dons pour les hôpitaux, les universités, les parcs, les installations sécuritaires et autres choses destinées à l’édification du pays.

Convient-il de signaler le nom du donateur non-juif ?

Si l’on s’en tient à la seule règle de droit, il est permis de perpétuer le souvenir des contributions émanant de donateurs non juifs, en indiquant leur nom sur une plaque fixée à la synagogue, comme il est d’usage de le faire pour certains donateurs juifs. Mais selon certains auteurs, il est a priori préférable de ne pas inscrire le nom de ces donateurs à la synagogue (responsa Zikhron Yehouda du Rav Yehouda Greenwald, n°56). D’autres disent même qu’il est a priori préférable de ne pas recevoir, de la part de non-juifs, de dons affectés à une destination précise : les dons d’argent devront viser les besoins généraux de la synagogue (responsa Yad Yits’haq III 271).

En pratique, si le rabbin de la synagogue en question estime que cela concourt à la sanctification du nom divin, on peut, a priori, inscrire le nom des donateurs sur une plaque commémorative.

Il est évidemment interdit de recevoir des dons d’organisations missionnaires. Mais il est permis d’en recevoir de la part de chrétiens qui ont pris sur eux de ne point chercher à convertir des juifs au christianisme ; à plus forte raison, quand il s’agit d’amis d’Israël.

Don à une yéchiva, de la part de non-juifs non convenables

S’agissant des dons à une maison d’étude (yéchiva) : lorsque le don est destiné à sustenter les étudiants, célibataires ou mariés, il est considéré comme une tsédaqa, qu’il ne faut pas accepter de non-juifs. Quand le don veut contribuer à la construction ou à l’entretien du bâtiment, il est semblable aux dons faits à la synagogue, qu’il est permis de recevoir de non-juifs (Vayachov Hayam II 16 ; Michné Halakhot V 178 ; c’est aussi ce qui ressort du Da’at Cohen 132 et du Peri ‘Hadach II 49).

« Vous serez quittes envers Dieu et envers Israël » (Nb 32, 22)

Il y a treize ans, quand j’ai commencé à examiner la question, j’ai pris sur moi, afin d’être intègre aux yeux du public, de ne pas tirer profit – ni moi, ni les institutions que je dirige – de dons provenant de chrétiens (comme je l’ai écrit dans l’hebdomadaire Besheva, numéro du 13 tichri 5773 / 29 septembre 2012). De cette façon, mon avis, d’après lequel le statut des chrétiens est semblable à celui de non-juifs honorables, ne pouvait être suspecté d’être dicté par quelque intérêt pécuniaire.

Soit dit en passant, avant cela même, dans le souci de rendre plus parfaite ma pratique à cet égard, je m’étais toujours abstenu d’accepter les dons de non-juifs. Malgré cela, il s’est trouvé certains rabbins et diverses personnalités qui ont choisi de nous calomnier, et de prétendre publiquement que nous recevions, et de façon régulière, des contributions de donateurs chrétiens. À présent qu’il n’est plus à craindre de faire honte à ces philanthropes, je puis rapporter que, il y a une quinzaine d’années, la somme importante de deux cent cinquante mille dollars nous fut proposée. Soucieux de l’honneur des donateurs, nous ne pouvions leur dire que nous refusions leur geste. Mais puisque nous voulions, à cet égard, apporter à notre pratique un supplément de perfection, il fut décidé que ce don n’irait pas à notre yéchiva, mais resterait aux États-Unis, et servirait aux efforts de communication en faveur de l’État d’Israël. Il se peut que cette donation, dont l’existence fut rendue publique, fût l’occasion sur laquelle s’échafauda la médisance : les auteurs de celle-ci ne pouvaient concevoir que je soutinsse une position amicale à l’égard des chrétiens qui affectionnent Israël, sans que j’en tirasse quelque profit.

Si l’on veut juger favorablement ceux qui répandirent ces accusations, nous dirons qu’ils n’avaient pas connaissance de l’entière histoire – à la manière de ce que rapporte la Guémara (Baba Batra 10b), d’après quoi Rabbi Ami fut contrarié à l’endroit de Rava, parce qu’il ignorait que celui-ci avait distribué à des indigents non juifs l’argent reçu d’Ifra Hormiz, mère du roi de Perse. Cependant, la position de mes détracteurs est moins bonne, car ils n’ont pas essayé d’éclaircir la question, alors que cela leur eût été facile.

Halakha, en pratique

Selon la majorité des décisionnaires, les chrétiens qui aiment Israël, qui ont foi en l’élection du peuple juif et désapprouvent l’entreprise missionnaire, sont considérés comme des non-juifs honorables, de sorte qu’il est permis de recevoir d’eux une tsédaqa. Cependant, a priori, bien qu’il n’y ait pas à cela d’interdit, il convient de s’abstenir de recevoir la tsédaqa de non-juifs, quelque convenables qu’ils soient. Et puisque, de nos jours, la situation dans laquelle se trouve notre peuple est bien meilleure que dans les générations précédentes, et qu’il n’est pas en Israël de juif qui ne puisse subsister grâce aux allocations d’État et aux dons de provenance juive, il est juste de ne pas s’appuyer sur l’autorisation de recevoir la tsédaqa de non-juifs cachères.

Les dons destinés à une synagogue ou à d’autres besoins collectifs peuvent, en revanche, être reçus a priori, même de la part de non-juifs qui, d’après la définition exposée ci-dessus, ne sont pas considérés comme convenables.

S’agissant de l’International Fellowship of Christians and Jews (Keren Liyedidout), puisque cette organisation rassemble des fonds provenant de chrétiens qui soutiennent Israël, il est permis, de l’avis de la majorité des décisionnaires, d’en recevoir la tsédaqa. Néanmoins, comme nous l’avons dit, dans notre situation présente en Israël, il est juste de s’en abstenir ; à plus forte raison n’y a-t-il pas lieu de présenter notre position comme celle de pauvres ou de personnes dans la gêne. En revanche, il est permis d’accepter a priori les dons destinés à des besoins collectifs et sécuritaires : il n’y a pas là d’atteinte à notre honneur, puisque nous combattons des pervers qui, s’ils n’étaient pas arrêtés par nous, continueraient de répandre blessures, meurtres et destruction dans le monde entier. Aussi, par le soutien qu’elle nous apporte à cet égard, une telle organisation soutient également la paix du monde.

Traduction : Jean-David Hamou


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